La nature du peuple de Moav et leur rôle dans la réalisation messianique
1- La peur de Moav Dans la parasha de la semaine la Torah relate qu’après les victoires foudroyantes et miraculeuses d’Israël contre les deux rois Emori (Sihon et Og) le peuple de Moav se sent en danger et prend peur. Comprenant que la victoire contre les juifs ne peut pas venir de manière naturelle, Balak le roi de Moav fait appelle à un prophète Bilaam qui prophétise au nom du même D qu’Abraham (c’est-à-dire Hashem), afin qu’il maudisse les juifs pour les exterminer. Pour cela Bilaam demande à Balak de sacrifier quarante-deux animaux sur sept autels différents dans l’espoir de provoquer la colère de D sur Israël. Cependant le plan échoue et à chaque fois que Bilaam veut maudire Israël, une bénédiction sort de sa bouche. A la troisième et dernière tentative Bilaam prophétise même la venue du messie et la destruction totale de tous les peuples qui s’opposeront à Israël. Il bénit également les allies d’Israël comme les kenites. Pourtant Bilaam ne s’avoue pas vaincu. Il conseille à Balak de faire fauter les hébreux en prostituant les filles de son peuple. Le plan marche. Les hébreux succombent à la tentation et périssent en masse de la main de D. La Torah mentionne aussi le fait que les hébreux à ce moment pratiquent également l’idolâtrie de Péor avant d’avoir des rapports avec les prostituées. L’idolâtrie de Péor consiste en fait à déféquer sur une idole. 2- Moav pratique l’idolâtrie alors qu’ils ont foi en D Le talmud (Sanhédrin 104b) décrit cet épisode de la Torah de la manière suivante. Bilaam le prophète dit à Balak : “le D d’Israël hait la permissivité sexuelle et les hébreux cherchent à acheter des habits en lin. Ouvre des magasins de tissus, place une vielle femme à l’entrée du magasin et à l’intérieur une prostituée. La vieille proposera la marchandise au prix normal alors que la jeune fille vendra la même chose au rabais. Lorsque l’acheteur sera à l’intérieur la prostituée proposera ses services”. Balak accomplie le plan diabolique de Bilaam en rajoutant deux détails. Premièrement il demande aux prostituées de donner du vin aux clients. Deuxièmement lorsque l’hébreu voudra avoir une relation avec la prostituée, elle sortira de sa poitrine une image de Péor et lui demandera de la servir en faisant ses besoins dessus, puis de renier toute la loi de Moshé. Il y a alors deux questions qu’on est en droit de se poser. D’abord il semble bien que Balak croit en D, puisqu’il fait appelle à un prophète de D pour le sauver (le talmud dans Sanhédrin ajoute même que c’est grâce aux 42 sacrifices qu’il a offert à D sur les conseils de Bilaam que sa petite fille Ruth sera la grand-mère du roi David et du messie). On voit par ailleurs dans les prophètes que son fils ira jusqu’à sacrifier son fils unique à la gloire d’Hashem. Mais alors pourquoi prêche-t-il l’idolâtrie de Péor ? Si on lit bien le texte du talmud on voit que ce n’est pas Bilaam le prophète (qui reste monothéiste comme le précisera Maimonide dans les 8 chapitres d’introduction à Avoth) qui lui conseille cela. C’est bien une initiative de Balak. De plus d’après les dires de Bilaam si les hébreux avaient fauté par la prostitution, le résultat aurait été le même et la punition divine se serait abattue sur eux. Alors encore une fois pourquoi Balak prêche-t-il l’idolâtrie ? En plus on se rend bien compte aussi que l’idolâtrie acceptée en état d’ivresse et transit par le désir sexuel ne peut pas avoir beaucoup de valeur idéologique. Il faut aussi s’interroger sur le sens de cette idolâtrie qui consistait à déféquer sur une idole. Le comportement de Balak et de Bilaam est surprenant car ils viennent de vérifier à trois reprises l’amour de D pour Israël et la manière miraculeuse avec laquelle D a placé des bénédictions dans la bouche du prophète. Pourquoi s’entêter ? Pourquoi ne pas s’allier à Israël comme l’on fait d’ailleurs les kenites ou d’autres peuples autochtones ? 3- Les femmes de Moav sont acceptées dans le peuple d’Israël alors qu’elles ont été les instruments de la faute Le talmud (Kidushin 77) fait le récit du débat qui eu lieu en ce qui concerne la judéité du roi David. En effet sa grand-mère Ruth était une moabite descendante directe du roi Balak. Or la Torah dit “aucun amonit ou moavit ne rentrera dans l’assemblée de D”. Le talmud confirmant la judéité de David conclue que l’interdit ne concerne que les hommes de Moav ou de Amon et pas les femmes. Ainsi Ruth pouvait être acceptée comme convertie. En fait le verset dit “tu n’accepteras pas de moavit et de amonit parce qu’ils ne sont pas venu à ta rencontre avec du pain et de l’eau quand tu es sorti d’Egypte”. Or dit le talmud une femme ne dois pas sortir de chez elle, son honneur est de rester à la maison. C’est la raison pour laquelle on ne peut donc pas condamner les femmes de Moav de n’être pas sorties à la rencontre des hébreux. Ici aussi il y a lieu de s’étonner. Tout d’abord cela parait assez grotesque d’exempter les femmes de Moav en invoquant la pudeur alors qu’elles se sont massivement prostituées pour faire fauter les hébreux. Le talmud dans Sanhédrin ajoute même qu’elles sortaient nues devant les hébreux pour les exciter… On a donc plus l’impression que c’étaient les femmes de Moav qui étaient perverties plutôt que les hommes. Comment donc expliquer que la halacha accepte les femmes et rejette les hommes pour la conversion ? Comment se fait-il également que la Torah fait le reproche de n’être pas allé à la rencontre des hébreux avec du pain et de l’eau plutôt que ceux de l’idolâtrie et de la prostitution ? 4- Pourquoi les juifs sont-ils plus sensibles à l’idolâtrie de Péor que les non juifs ? Le talmud dans Sanhédrin 64 raconte qu’une femme non juive était gravement malade et que quelqu’un lui a dit “fait le vœu de servir Péor et tu seras sauvée”. Elle fit le vœu et fut sauvée. Elle arriva au temple de Péor et elle demanda quel sacrifice elle devait apporter. Le prêtre lui répondit qu’elle fallait qu’elle mange certains légumes afin de produire des excréments très odorants sur l’idole. La non juive rétorqua “si j’avais su que c’était cela le service de Péor j’aurais préféré mourir”. En opposition le talmud raconte l’histoire d’un juif qui voyageait avec une idolâtre. Ils s’arrêtèrent au temple de Péor pour qu’elle puisse servir. Le juif demanda de quoi il s’agissait. Elle lui expliqua le service de cette idole et le juif qui fit aussi ses besoins sur l’idole en s’essuyant sur elle. Le prêtre de Péor dit qu’il n’avait jamais vu quelqu’un servir cette idole aussi bien que ce juif… Quelle est donc cette idolâtrie de Moav qui engendre le messie et qui est si proche de la nature juive ? 5- La naissance de Moav ou la négation de l’intention masculine Pour répondre à toutes ces questions il faut nous reporter à la Genèse. On nous raconte la naissance de Moav. Lot habite Sodome. D envoie des anges pour le sauver lui, sa femme et ses deux filles. Dans la fuite sa femme se retourne est transformée en statue de sel. Lot et ses filles se réfugient alors dans une grotte. Les deux filles pensant que le monde est détruit saoulent leur père avec du vin trouvé dans la grotte et ont des rapports avec lui à son insu. Elles accoucheront de deux enfants Amon (celui qui vient de mon peuple) et Moav (celui qui vient de mon père). Ce passage semble contredire une règle de halacha. En effet la Torah considère une femme violée comme n’étant pas passible de punition pour un rapport sexuel interdit (vu qu’elle est forcée). Cependant le talmud dit qu’une telle dérogation n’existe pas pour un homme car “une érection est toujours intentionnelle” (Yebamot 53b). Or ici dans le cas de Lot la Torah nous parle d’un rapport sexuel sans intention ce qui est impossible selon la halacha. Deuxième point de halacha qui a son importance, le talmud envisage (Ketouvoth 51b) le cas d’une femme violée au départ mais qui devient consentante durant l’acte. Le talmud dit au nom de Ravah (c’est la halacha) qu’elle n’est pas responsable car son extase est un abandon. 6- Comprendre l’idolâtrie de Péor à la lumière de Bataille Il manque encore une pièce du puzzle pour pouvoir répondre à toutes nos questions. La voici. C’est un texte de George Bataille dans L’anus solaire. “Ton visage est noble. Il a la vérité des yeux dans lesquels tu saisis le monde. Mais tes parties velues sous ta robe n’ont pas moins de vérité que ta bouche. Ces parties secrètement s’ouvrent à l’ordure. Sans elles, sans la honte liée à leur emploi, la vérité qu’ordonnent tes yeux serait avar. Tes yeux s’ouvrent sur les étoiles et tes parties velues s’ouvrent sur...ce globe immense ou tu t’accroupis se hérissent dans la nuit de sombres et hautes montagnes, très haut sur les crêtes neigeuses est suspendue la transparence étoilée du ciel. Il est temps pour toi d’inverser au fond de ton être une image insipide et triste du monde. Je te voudrais déjà perdue dans ces abîmes ou d’horreurs en horreurs tu entreras dans la vérité.” (Je cite ici un passage du ministère de la culture qui résume et explique un peu la pensée de Bataille) “Parmi les pratiques de l’excès envisagées par Bataille, il en est deux qui retiennent tout particulièrement son attention : le sacrifice et l’érotisme. L’une et l’autre ont partie liée avec la notion de sacré dans la mesure où elles sont radicalement séparées du cours habituel - profane - de l’existence. Cette séparation se produit à la fois par le haut et par le bas : dans l’érotisme comme dans le sacrifice, l’homme obéit simultanément à un mouvement ascendant qui le met en rapport avec un ordre supérieur (le divin, la sainteté, l’amour et la mort idéalisés) et à un mouvement descendant qui le met en rapport avec un ordre inférieur (la souillure, le sang, l’amour et la mort matérialisés). Se fondant sur les acquis de l’histoire des religions, Bataille montre que le sacrifice correspondait à une exigence de sacré - une exigence d’excès - inhérente à l’humanité.) Que celui-ci ait disparu sous l’effet du christianisme ne signifie pas que cette exigence a également disparu, mais qu’elle se maintient sous d’autres formes, principalement dans la pratique de l’érotisme.” Il y a un lien évident entre la pensée de Bataille et l’idolâtrie de Péor. 7- En quoi la pensée de Bataille est en adéquation avec la pensée juive ? Cependant il faut encore remarquer deux points. Le premier plus anecdotique est que la vision de Bataille des deux visages avec une face haute (yeux, bouche, oreille) et une face basse (anus, sexe) existe chez les cabalistes castillant du 13e siècle et surtout chez le Rav Kordovero qui applique cette double face à D (anthropomorphisme) c’est d’ailleurs sur ces notions cabalistes. Le deuxième nous intéresse plus ici. Ce renversement du sacrée par la souillure où l’homme cherche à dépasser ses limites dans l’excès est bien une notion juive. Je vais citer pour démontrer cela deux passages du talmud dans Pesahim. Le premier page 65 nous raconte que la veille de Pessah on égorgeait des dizaines de milliers d’agneaux en quelques heures pour le sacrifice pascal. L’esplanade du temple ou les prêtres aspergeaient le sang était bouchée. D’habitude l’esplanade du temple était lavée par un petit courant d’eau le “siloe” qui passait par une rigole aménagée à cet effet. Lorsque l’on égorgeait les sacrifices pascals pendant la nuit, cette rigole qui aurait pu servir à évacuer et nettoyer le sang qui était aspergé sur l’autel était fermée. Le talmud demande pourquoi et il répond que c’était un honneur pour les milliers de prêtres qui servaient de patauger dans le sang des sacrifices. Dans la page 57 le talmud nous raconte l’histoire du grand prêtre Isachar le fils de Barkay qui égorgeait les sacrifices avec des gants pour ne pas se salir. Il fut punit par D. Après une mésaventure avec le roi il fut condamné à se faire trancher les deux mains. Il y a donc un peu l’idée de souillure dans le temple. On comprend pourquoi Moav a un rôle dans la construction du temple. On comprend aussi pourquoi pour les moavites le service Péor n’est pas contradictoire avec la croyance en D. C’est simplement une complémentarité, une recherche de dépassement du rapport à D par la souillure. En fait Balak veut que les juifs intègrent ce rapport à D dans leur croyance. En fait Balak sent qu’il peut apporter quelque chose au judaïsme, un nouveau rapport à D. Mais d’une part il s’y prend mal. D’autre part le temps n’est pas encore venu. Le peuple juif n’est pas encore assez mur. Il faudra attendre Ruth et David. (De même la femme de Putiphar qui sentait qu’elle avait un futur avec Joseph et cherchait à procréer avec lui alors que le temps n’était pas encore venu. Finalement c’est sa fille qui se mariera avec Joseph. Comme Korah qui lui aussi voulait devenir le guide de la nation alors que ce n’est que son petit-fils Samuel qui le deviendra plus tard) 8- En quoi la pensée de Bataille est-elle opposée à la pensée rabbinique ? Mais alors finalement où se trouve la différence entre le temple de Salomon et l’idolâtrie de Péor ? Malgré le rapport à la souillure le temple reste un endroit à l’image de la splendeur divine. Les ustensiles, les tentures, les habits des prêtres sont des objets de splendeur. Pourquoi ? En fait si on regarde de plus près dans le service des prêtres, contrairement au récit de Bataille il n’y a jamais d’abandon à l’extase. Au contraire, l’intention (la cavanah) du prêtre est fondamentale. Dans la Torah une intention n’a pas de valeur. Le talmud dit “les mots dans le coeur ne sont pas des mots”. La seule exception à cette règle c’est le service du temple. C’est l’intention du prêtre ou des propriétaires du sacrifice qui rend le sacrifice agréable à D ou pas. Cette idée d’intentionnalité nous ramène à l’idée masculine d’érection. D’après le talmud l’érection procède toujours d’une intention qui s’oppose à la notion féminine de l’abandon extatique. Seuls les hommes peuvent servir au temple. Le talmud dans Yomah ainsi que dans Shabbat en se basant sur des versets des prophètes précise que le temple et ses ustensiles était une allégorie féminine de D alors que le service des prêtres était un service à connotation masculine (l’aspersion du sang, qui se faisait par goûtes envoyées du bout des ongles a bien une connotation sexuelle). Bataille comme les bouddhistes et les catholiques mystiques ont un rapport d’abandon à D et à l’éternité alors que le juif se dresse face à D même dans son expérience mystique. Comme le disait Buber “pour le juif D est le tout autre en même temps que le tout même”. On comprend maintenant pourquoi les femmes de Moav et de Amone sont permises et jouent un rôle dans la construction du temple car il y a une partie féminine du “tout même” dans le temple et le service sacré. Mais les mâles de Moav sont rejetés car ils ont capitulé devant leur masculinité. Ils sont capables d’érection non intentionnelle comme Lot ou comme Bataille. En fait le talmud interprète le verset qui dit que “Moav n’est pas venu à la rencontre des hébreux avec du pain” comme une critique d’une passivité face à l’histoire et sur un rapport d’abandon à l’éternité et à la nature qui n’est pas compatible avec le judaïsme. 9- L’extase dans l’intention de Buber face à l’extase de l’abandon de Bataille Le verset du deutéronome dit que la tombe de Moshe est en face de la maison de Péor et que personne ne peut connaitre son véritable emplacement. Le talmud dans Sotah 14 explique que c’est Moshe qui nous protège de la faute de Péor. Le Zohar dit que lorsque le verset dit que personne ne sait où se trouve la tombe de Moshe, cela signifie que même après sa mort, il continu à monter de niveau spirituel. Il est en continuel progression dans l’être dit le Maharal. C’est le contraire de la faute de Péor où l’homme recherche un dépassement par l’abandon. Le Maharal dit encore (en commentant le passage du talmud (de Sanhédrin 104) qui commente le verset : “les juifs se sont installés à Chitim et ils commencèrent s’abandonner à la prostitution de Moav” que lorsque l’homme s’installe et qu’il ne cherche plus une progression de l’être il est condamnée à la faute. Le talmud dit aussi que “le mauvais penchant n’entre dans l’homme qu’une fois qu’il est sorti du ventre de sa mère,” car dit le Maharal “tant que l’enfant est dans le ventre de sa mère il veut en sortir il aspire à une progression dans l’être. Une fois sorti il n’a plus cette même volonté, il commence donc déjà à mourir (le mauvais penchant c’est l’ange de la mort)”. A partir de la pensée de Bataille on peut voir sous un nouveau jour l’importance du service du temple et la nécessité de sa reconstruction. En effet l’homme a un besoin naturel d’extase et de dépassement vers le sacré dans la souillure. Tant que le temple n’est pas reconstruit il est condamné à rechercher ou bien à combattre ce besoin dans un rapport à l’érotisme. Seule la reconstruction du temple permettra de sortir de cette frustration masculine de l’extase. (On peut aussi comprendre comment les prières rituelles remplacent les sacrifices. L’intention dans la lecture de la prière est la partie masculine du rapport à D qui est comparable à l’intention des prêtres quand ils faisaient le service du temple.)
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