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Writer's pictureRav Uriel Aviges

Bechalah 5770

Le chant et la justification morale de soi

Dans la parasha Bechalah, la torah nous fait le récit de l'ouverture de la mer rouge et du chant des juifs devant ce miracle. Les versets disent "Israël vit l'Égyptien gisant sur le rivage de la mer. 31 Israël reconnut alors la haute puissance que le Seigneur avait déployée sur l'Égypte et le peuple révéra le Seigneur; et ils eurent foi en l'Éternel et en Moïse, son serviteur Alors Moïse et les enfants d'Israël chantèrent l'hymne suivant à l'Éternel. Ils dirent: "Chantons l'Éternel, il est souverainement grand; coursier et cavalier, il les a lancés dans la mer. 2 Il est ma force et ma gloire, l'Éternel! Je lui dois mon salut. Voilà mon Dieu, je lui rends hommage; le Dieu de mon père et je le glorifie. 3 L'Éternel est le maître des batailles; Éternel est son nom! 4 Les chars de Pharaon et son armée, il les a précipités dans la mer; l'élite de ses combattants se sont noyés dans la mer des Joncs"

Les versets montrent bien que le cantique des juifs a été chanté à la vue des cadavres des égyptiens sur la mer. De plus une grande partie des versets du chant ne sont que la description de la punition des égyptiens par la main de D. Il semble que le chant soit associé à la chute des égyptiens.

Dans la bible les chants sont en général chantés lorsque quelqu'un est sauvé au détriment de quelqu'un d'autre. Ici les hébreux chantent par ce qu'ils sont sauvés des égyptiens. Dans les nombres les juifs chantent le miracle qui les a sauvés des émorites qui se tenaient en embuscade derrière les montagnes.

De même, dans le Psaume 18, David entonne un chant à D lorsqu'il est sauvé de Saül. Et Devorah chante à D lorsque l'armée de Sisra est massacrée. On a du mal à comprendre pourquoi le chant à D est associé à la destruction d'un ennemi, car la mort des autres ne devrait pas être une cause de réjouissance. Le midrash dit même que D n'a pas permis aux anges de faire un chant lorsque les égyptiens étaient en train de se noyer dans la mer, car D lui même portait le deuil des égyptiens. Alors pourquoi les juifs sont ils considérés comme des justes lorsqu’ils font un chant en voyant les cadavres des égyptiens? Les midrashim disent même, que D a pardonné aux juifs toutes les fautes qu'ils avaient faites dans le passé par le mérite du chant qu’ils ont fait en voyant les cadavres es égyptiens.

Cette question est d'autant plus forte lorsque le chant exprime une réjouissance devant la chute d'un autre juif. En effet David dans le psaume 18 dit "Au chef des chantres. Par le serviteur de l’Eternel, David, qui prononça en l’honneur du Seigneur les paroles de ce cantique, lorsque l’Eternel l’eut délivré de la main de tous ses ennemis et de la main de Saül. 2 Il dit: Je t’aime, ô Eternel, qui es ma force! 3 Seigneur, tu es mon rocher et ma forteresse, un libérateur pour moi;" David a écrit ce psaume lorsqu'il est devenu roi après la mort de Saül.

Comment David peut il se réjouit de la mort de Saül? Le talmud dans Moed Katan 16b condamne ce chant de David il dit "D a dit à David, tu fais un chant sur la chute de Saül! Si c'était toi Saül et lui David, j'aurais massacré beaucoup de Saül comme toi devant lui!" le talmud dit que Saül était un juste d'une plus haute stature que David. D dit que si on avait du donner la victoire au plus méritant c'est Saül qui aurait du survivre à David et pas le contraire. Alors pourquoi Saül est-il mort et pourquoi David est-il devenu roi? Rashi et le Rosh (ad hoc) expliquent que ce fait ne peut provenir que du mazal. David avait le mazal de devenir roi et pas Saül. Quoi qu’il en soit David fait un chant qui glorifie son triomphe contre quelqu'un qui était plus méritant que lui, comment est ce possible? Ailleurs (Midrash Tehilim 18) le midrash dit que par le mérite de ce chant fait par David, D a décidé de pardonner toutes les fautes de David!

Comment comprendre le double statut du chant lorsqu'il exprime la réjouissance d'une délivrance par la chute d'un autre? Car d'une part les rabbins semblent condamner moralement ce chant comme étant injustifiable, et d'autre part ils disent que ce chant apporte une élévation spirituelle telle qu'elle permet le pardon de toutes les fautes. Comment comprendre qu’une action immorale soit la source d’un pardon?

Tout comme David est sauvé de Saül uniquement grâce à son mazal, les midrashim disent que les juifs ont été sauvés des égyptiens uniquement à cause du mérite de leurs ancêtres. Les juifs étaient aussi idolâtres que les égyptiens. Selon le midrash les juifs n'étaient moralement pas meilleurs que les égyptiens lorsqu'ils sont sortis d'Egypte. D’une certaine manière les juifs ont survécu l'Egypte et à la traversée de la mer uniquement par ce que c'était leur mazal.

Les midrashim disent aussi que seul un juif sur cinq a survécu à l'Egypte, cela veut dire que quatre cinquièmes des juifs sont morts. On peut imaginer que dans chaque famille juive il y avait des morts. Comment comprendre, alors, que les rescapés, au lieu de s'endeuiller sur les quatre cinquième du peuple qui avait disparu, ont commencé à faire des danses avec des tambourins et des flutes? On a du mal à croire que des survivants des camps de concentration commenceraient à faire un carnaval le jour de leur libération s’ils avaient perdu des frères ou des sœurs ou leurs parents. Pourtant après l’ouverture de la mer rouge c'est ce que les juifs font, pourquoi?

Primo Levi explique que lorsque les juifs ont été libérés des camps de concentration, ils ont ressenti, pour la plus part, une grande culpabilité. Il pensait qu’ils avaient survécu par ce qu’un autre juif était mort à leur place. Ils se sentaient coupable d’avoir été privilégiés. Pourquoi avaient-ils été sauvés eux et pas un autre? Ils ne pouvaient pas répondre à cette question, les survivants ne pouvaient pas justifier leurs existences, ils se sentaient coupable de survivre alors qu’ils étaient des victimes. “Tu as honte parce que tu es vivant à la place d'un autre ? (...) Ce n'est qu'une supposition, moins : l'ombre d'un soupçon : que chacun est le Caïn de son frère, que chacun de nous (mais cette fois je dis nous dans un sens très large, et même universel) a supplanté son prochain et vit à sa place. C'est une supposition, mais elle ronge; elle s'est nichée profondément en toi, comme un ver, on ne la voit pas de l'extérieur, mais elle ronge et crie."

Le chant des hébreux survivants c’était une manière de conjurer cette culpabilité d’avoir survécu. Moralement les juifs ne pouvaient pas justifier le fait qu’ils aient traversé la mer et que les égyptiens soient morts. Surtout lorsque l’on sait que D avait enlevé le libre arbitre des égyptiens et que c’était D lui même qui avait conditionné les égyptiens contre leurs grés à poursuivre les juifs.

Les survivants ne pouvaient pas dire “nous avons survécu par ce que nous étions plus intelligents ou plus justes”, alors comment allaient-ils justifier leurs existences? Par le chant. Le chant exprimait le fait qu’un homme n’a pas à se justifier d’exister, même si il prend le pain d’un autre pour vivre. L’homme n’a pas à justifier sa vie par ce que c’est D qui veut qu’il existe. C’est D qui a voulu que les juifs survivent, il n’y a qu’a chanter cette décision de D. C’est D qui a décidé la mort des égyptiens et la rédemption des juifs gratuitement. Israël ne condamne jamais moralement les égyptiens, mais ils chantent la décision de D.

Pour les survivants d’une catastrophe seul le chant peut permettre de vivre, et le chant c’est une suspension de la morale ou de la justification rationnelle.

Dans le monde moderne on accepte mal l’idée d’être privilégié, le privilégié est coupable par nature, puisque tous les hommes doivent être égaux. Ainsi celui qui est privilégié doit toujours justifier sont privilège, il doit être performant. Dans la société moderne tout homme qui a le privilège d’être vivant doit transformer le monde s’il veut avoir le droit d’exister. La culpabilité devant le privilege crée une haine du sublime, tout celui qui se distingue par un don spécial ou une réussite doit expier dans la douleur pour se justifier. les “peoples” sont des sacrifices humains que l’on place sur un podium pour ensuite les lapider, pour bien montrer que tout le monde est égal et que l’on est tous interchangeable.

Les midrashim mettent en valeur le fait que la délivrance des juifs a été gratuite et qu’elle ne peut pas se justifier de manière rationnelle, pour nous montrer que la justification rationnelle c’est déjà une haine de soi. Lorsqu’un homme commence à dire “j’ai réussi par ce que j’ai travaillé, ou par ce que je suis intelligent”, si un homme essaie de donner une explication rationnelle à ses résultats, cela montre déjà qu’il ne pense pas que ce résultat lui incombait du fait même de son existence. Le fait d’attribuer sa réussite ou ses échecs à des mérites ou à des défauts montre déjà que l’homme a besoin de justifier son existence dans un discours dans lequel il n’a plus le droit d’exister. La torah pense que du fait que la vie humaine est la création de D, elle n’a pas à être justifiée, D nous fait vivre par ce qu’il veut que l’on vive. Moralement l’homme n’a pas à chercher une justification plus profonde.

C’est de cette manière que l’on peut comprendre le concept du mazal dans la torah, pour le talmud si David est devenu roi ce n’était par ce qu’il était le meilleur, mais uniquement par ce que c’était son mazal, sa destinée. Le chant c’est une reconnaissance de cette destinée.

C’est pour cela qu’il ya dans le chant des hébreux ou dans celui de David, d’une part la reconaiscance de ne pas mérité ce que l’on a, et d’autre part le sentiment de jouissance de ce droit à vivre gratuitement.

Ainsi, On peut comprendre pourquoi les juifs se souhaitent constamment “mazal tov” ce qui est étonnant puisque l’on sait que la foi monothéiste, la base de la emounah, c’est justement que l’homme ne dépend pas du mazal, mais uniquement du D unique qui est au dessus des mazaloth. Le fait de souhaiter un mazal tov parait vraiment comme un manque de confiance en D. Mais à la lumière de ce que disent Rashi et le Rosh dans Moed Katan, on peut interpréter cette phrase populaire comme n’étant pas une bénédiction ou un souhait où l’on bénit l’autre qu’il ait un bon mazal, mais plutôt comme une exclamation de reconnaissance et une affirmation, “c’est un mazal tov! par ce que ça a eu lieu! donc c’est la volonté de D.” Le fait de dire mazal tov s’apparente à un chant plutôt qu’à une prière.

Le chant et la morale.

La fin de la parasha est le récit de la guerre d’Amalek. La guerre avec Amalek est différente de toutes les autres guerres d’Israël. En effet, les autres guerres d’israel ont été des guerres de conquêtes, elles étaient liées à la possession d’un territoire, le peuple conquis pouvait se rendre sous certaines conditions et garder sa ville si il était prêt à payer un impôt. Par contre la guerre contre Amalek devait être un génocide, (Maimonide discute sur ce détail mais la majorité des avis sont en désaccord sur Maimonide) D commande au peuple d’Israël d’éradiquer la race d’Amalek et de tuer même les animaux qui leurs ont appartenus.

Dans le deutéronome 25 la torah explique la raison de cette haine contre Amalek, les versets disent “Souviens-toi de ce que t'a fait Amalek, lors de votre voyage, au sortir de l'Egypte; 18 comme il t'a surpris chemin faisant, et s'est jeté sur tous tes traînards par derrière. Tu étais alors fatigué, à bout de forces, et lui ne craignait pas Dieu. 19 Aussi, lorsque l'Éternel, ton Dieu, t'aura débarrassé de tous tes ennemis d'alentour, dans le pays qu'il te donne en héritage pour le posséder, tu effaceras la mémoire d'Amalec de dessous le ciel: ne l'oublie point”. La raison pour laquelle la torah est si négative contre Amalek c’est par ce qu’il a attaqué par derrière les malades et les plus faibles. Tous les autres peuples qui ont attaqué Israël se sont toujours battus de face. C’était toujours une armée contre une autre armée. Mais Amalek a attaqué par l’arrière, par surprise sans raisons, dans le seul but de tuer les malades et les handicapés qui ne pouvaient pas suivre le rythme de la marche du peuple.

Ce n’est pas pour rien que la guerre d’Amalek a lieu juste après l’ouverture de la mer rouge. Car la réaction d’Amalek parait être la suite logique du chant des hébreux. Si l’homme n’a pas à justifier moralement son existence, même si elle se fait toujours au dépend d’un autre, alors il est normal de considérer que le plus fort puisse tuer le plus faible. Amalek pense que le fait que D a donné la force au puissant et la faiblesse aux handicapés ou aux vieux, justifie que l’on puisse les tuer. Tout comme le bonheur de vivre des hébreux justifiait le fait que les égyptiens soient massacrés.

Cette analogie est encore plus forte si on suit l’explication de Rashi qui dit “Tous les retardataires après toi: Affaiblis à cause de leur péché, ceux que la nuée avait repoussés”. Selon Rashi, Amalek était venu attaquer les impies qui étaient rejetés par la colonne de nuée protectrice de D. A première vue, on ne voit pourquoi D en veut tellement a Amalek pour avoir tué des hommes qui ne mariaient pas de vivre, que D lui même avait rejeté, quelle différence entre les impies juifs et les égyptiens qui se noient dans la mer?

Pour répondre à cette question je vais d’abord faire une digression et revenir sur l’opposition entre David et Saül.

Le Maharsha, dans Moed Katan, n’accepte pas l’explication selon laquelle le roi David est devenu roi à la place de Saül uniquement grâce à son mazal. Pour le Maharsha malgré le fait que Saül était plus pieux que David et qu’il avait un niveau spirituel plus élevé que celui de David, il n’empêche que Saül n’était pas capable d’être triste lorsqu’il faisait des fautes et qu’il se trompait, tandis que David sentait une douleur physique lorsqu’il se trompait. Pour le maharsha c’est pour cela que David est devenu roi à la place de Saül.

Lorsque D demande à Saül de détruire Amalek, Saul laisse en vie le roi et les enfants, en se disant “si les adultes ont fauté comment peut-on punir les enfants?”, le prophète Shmouel annonce à Saul qu’il a fait une erreur, et qu’il ne devait pas faire de calculs lorsqu’il s’agissait d’accomplir la parole de D. A la fin Saül reconnait son erreur et il décide de mettre tout le monde à mort, mais il n’est jamais triste d’avoir fauté. Le roi David, par contre, fait plus d’erreur que Saul, mais il est toujours torturé par ses fautes. David fait des jeûnes à rallonge il demande à D de le faire souffrir pour le pardonner. Il dit à D “pourquoi le fouet est-il accroché au mur? Frappe moi avec!”

Il est difficile de comprendre comment David, un roi qui aime les femmes et la guerre, qui chante toujours dans les psaumes la beauté de la vie, peut être en même temps l’homme de la contrition et des jeûnes. Cette double personnalité de David est très choquante pour ceux qui lisent les psaumes, dans un même psaume on passe souvent d’un verset à l’autre, de la joie la plus euphorique et l’émerveillement devant la beauté de la vie, a la souffrance profonde devant les fautes et la laideur morale. Beaucoup de psychologue pense que David était “bipolaire”.

A mon avis il n’y a aucune contradiction entre le dolorisme de David et son amour de la vie. Contrairement à ce que pensait Nietzche le dolorisme et la torture morale découlent de l’amour de la vie, ils ne sont pas une négation la vie.

Posons la question différemment, pourquoi Saul qui est un grand pieu, n’arrive pas à être triste lorsqu’il fait des fautes? A mon avis cela vient de sa vision de la morale. Il pense “je fais une faute, je paye, et je suis quitte” Saül paye sa faute, puisqu’il est puni et qu’il ne peut plus être roi, il n’a donc pas a être triste. Si un homme a une contravention lorsqu’il se gare dans une place interdite, il ne se sent pas coupable d’avoir fauté moralement, il se sent quitte lorsqu’il a payé l’amende. Saül ne croit pas au mazal c’est pour cela qu’il ne compose pas de chant sur la beauté gratuite de la vie. C’est aussi pour cela qu’il ne tue pas les enfants d’Amalek. Saül pense que si un homme n’a pas commis de faute morale, même D ne peut pas le destiner gratuitement a la mort, Saül n’arrive pas à reconnaitre la fatalité de la destinée. Pour Saül toutes les faute se payent, et toutes les bonnes actions sont récompensées, il n’y a pas à en rire ou à en pleurer, il n’y a qu’à tenir les comptes.

David, par contre, comprend que la destinée existe, que la vie est un don gratuit de D, c’est pour cela qu’elle peut être chantée et magnifiée, D peut tout pardonner puisqu’il donne tout gratuitement. Mais du même coup, si la destinée existe, s’il y a un mazal qui nous est donné gratuitement, lorsque l’homme faute, il faute d’abord et avant tout contre lui même. L’homme ne sera peut être pas puni de sa faute dans ce monde et D peut toujours tout lui pardonner. Il n’empêche que de ce fait même, lorsque l’homme est face à lui même, et face a son âme, sa faute est infinie et impardonnable. David ne cherche pas le pardon divin dans ses prières il cherche à purifier son âme. Cette force de David d’envisager sa responsabilité morale face à lui même, face à son âme n’est possible que par ce qu’il sait que la vie est un don gratuit, et que D pardonne les fautes gratuitement comme il donne la vie gratuitement.

Amalek c’est l’opposé radical de David. Amalek pense que puisque tout est gratuit et que la justice n’est pas de ce monde, alors autant écraser le plus de personne possible, surtout ceux que D semble avoir abandonnés. Pour David, au contraire, ceux qui ont été abandonnés par D sont ceux qu’il faut sauver, car c’est sur eux que l’homme peut faire une différence, et changer la destinée et le mazal.

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