Le cynisme et la religion
Une contradiction des textes au sujet de la pudeur dans son rapport à D.
Deux passages de la bible semblent se contredire. Dans un premier passage la torah nous dit qu’il y avait deux sacrifices qui étaient fait à l’extérieur du temple et à l’extérieur du camp, la vache rousse et le bouc expiatoire de Yom Kippour. Le talmud explique que ces deux sacrifices avaient comme point commun le fait d’être injustifiables par la raison. Le bouc émissaire qui était jeté du haut d’une falaise dans le Azazel était sensé pardonné dans sa mort toutes les fautes du peuple d’Israël, ceci est insensé, pourquoi la mort d’un animal innocent peut elle pardonner la faute des hommes? Le sacrifice de la vache rousse avait pour but de purifier les hommes impurifiés par le contacte avec des morts, là aussi ce processus de pureté et d’impureté défie la logique. La torah a dit, justement, puisque ces sacrifices sont incompréhensibles, les non juifs ne pourront jamais les accepter, et les justifier par la raison, Justement pour cela, il faut les faire a l’extérieur du camps pour montrer aux nations que notre foi en D n’a pas à se justifier dans leur système de valeurs.(Yomah 67 et les commentateurs sur la parasha) Il semble donc que la torah demande une sorte de rébellion ostentatoire (bling-bling) face aux nations. On pourrait citer pour soutenir cette idée le verset de Jérémie 9 ou le prophète dit que l’homme ne peut se louer lui même publiquement que d’une chose : c’est du fait de connaitre l’unité et la gloire de D.
Mais d’un autre coté dans la haftarah de la parasha de cette semaine le prophète Micah dit que D ne demande des juifs que 3 choses. L’amour de la bonté, la recherche de la justice, et une discrétion et de la pudeur dans son rapport avec D.
Il semble donc y avoir une contradiction entre le début de la parasha qui semble demander un rapport à D dévoilé et publique, où l’homme va jusqu’à se glorifier lui même publiquement d’être croyant, et d’un autre coté une nécessite de pudeur dans son rapport à D. Comment résoudre cette contradiction?
La pudeur dans le rapport à D et l’histoire de Bilaam
Le prophète Micah, juste avant de demander aux juifs d’être pudique dans leur rapport à D, demande aux juifs de se rappeler de l’histoire Bilaam qui a voulu maudire les juifs. Il faut comprendre pourquoi Micah fait une connexion entre l’histoire de Bilaam, et la pudeur dans le rapport à D.
On peut tenter de répondre grâce à un passage du talmud. Lorsque Bilaam a vu les tentes d’Israël, il a dit “comme tes tentes sont belles Israël”. Qu’est ce qui était si beau dans les tentes d’Israël? Le talmud dans Baba Batra 60 explique qu’il a vu que les fenêtres et les portes des tentes du campement n’étaient pas en face les unes des autres, ce qui permettait aux juifs de garder leurs pudeurs et leurs intimités. Or Bilam, nous dit la Mishna dans Pirkei Avoth, avait le “ain raah”, le mauvais œil, c’est à dire qu’il avait la possibilité de voir le mal partout, de trouver la faille qu’il y avait dans la plus belles des qualités morale. (C’était surement un élève de Derrida). Il s’est dit: “si les juifs sont tellement ostentatoires dans leurs pudeurs, c’est qu’ils manquent de pudeur, car ils manquent de pudeur dans leurs rapports à la pudeur, je peux donc les faire fauter par là”. Et c’est ainsi qu’il a fait un complot, qui pourrait amener les juifs à fauter par le manque de pudeur le plus total (c’est a dire qu’il a mis en place un réseau de prostitution sponsorisé par l’état qui avait pour but d’amener les juifs à l’idolâtrie, et cette idolâtrie consistait a faire ses besoins publiquement sur une idole). C’est pour cela que Micah rappelle cet événement historique pour demander aux juifs d’être pudique dans leurs rapports à D car même dans son rapport à la pudeur il faut être pudique.
Pourquoi les juifs ont-ils fauté si facilement avec les filles de Moav?
Le Maharal s’interroge: comment se fait-il que les juifs ont fauté si facilement avec les filles de Moav, alors que pendant les 400 ans d’exile en Egypte les juifs n’ont rien fait avec les égyptiennes selon les midrashim, pourtant ces même midrashim expliquent que toutes les perversions sexuelles étaient pratiquées en Egypte, à une échelle plus grande encore qu’à Midian, puisqu’à Midian on reste dans un schéma classique de prostitution avec des jeunes filles (les jeunes filles de Moav) alors qu’en Egypte c’était “everything goes”, comme on disait de mon temps dans les annonce du Village Voice, ain cham. (Si quelqu’un s’ennuie dans le métro il peut jouer aux jeux des 7 différences entre les annonces du Village et Maimonide dans la loi des interdits sexuel chap. 21 halacha 8). De plus dit le Maharal en Egypte les juifs n’avaient pas reçu la torah, et pourtant ils n’ont pas fauté, alors qu’à Midian les juifs avaient déjà reçu la torah, comment donc expliquer qu’ils ont fauté?
Une réponse possible à la question du Maharal consiste à dire que, justement, c’est par ce que les juifs avaient reçu la torah qu’ils ont fauté.
C’est la naïveté qui a entrainé la faute
Revenons à l’idée exposée précédemment, qu’une des causes da la faute des juifs c’est qu’ils n’avaient pas de vis à vis dans leurs campement. Pour comprendre le mécanisme de la faute il faut dire que cette perfection dans la recherche de la pudeur, ce n’était pas de l’hypocrisie, aux contraire les juifs était tellement honnête dans leur rapport à la torah, et tellement parfaits et naïfs (en hébreu le mot parfait et naïf tam sont le même mot) qu’ils n’avaient plus de recul dans leurs rapport à la morale. Ainsi il était facile pour un homme cynique d’imaginer un complot pour les manipuler. En fait la pudeur c’est le contraire de la naïveté et de l’honnêteté.
La naïveté comme opposée à la pudeur
Si quelqu’un à un rapport naïf et honnête avec son corps il devrait se promener tout nu, la tsniout, la pudeur, est un mensonge et un recul que l’homme opère face à son rapport au corps (c’est pour cela que les habits en hébreu “begadim” sont de la même racine que la révolte rébellion “begidah”, par ce que les habits sont une rébellion contre son corps).
Si on applique ce mot de” pudeur” dans le rapport à D cela veut dire qu’il faut avoir une certaine dose de cynisme et de recul par rapport à sa foi en D et ce n’est qu’a travers ce cynisme et ce recul que le rapport à D est possible.
Le cynisme c’est la pudeur avec D
Lorsque l’on dit dans la prière finale, la Neilah, de Yom Kippour “D nous savons que si on fait le bien ou le mal cela ne fait aucune différence pour toi”, on montre bien ici un rapport cynique face à la morale. La posture religieuse est une posture qui garde un recul face aux commandements de la torah, car au fond l’homme religieux sait que si D existe et que l’on ne peut pas comprendre son essence, mathématiquement on arrive à la conclusion que la vie est une farce, or si la vie est une farce le rapport à la morale et aux mitswoth doit être relativisé.
Le bon choix moral n’est possible que grâce au cynisme
Mais, paradoxalement, ce n’est que lorsque l’on prend conscience du fait que la morale n’est pas absolue, et que l’on n’est plus naïf dans son rapport aux mitswoth, et que l’on a de la pudeur dans son rapport à D, que l’on devient capable de déjouer les complots de Bilaam et de prendre la bonne décision.
L’idéaliste naïf est condamné à la chute dans le monde réel, seul le cynisme permet l’application du bien dans le monde de la réalité. C’est pour cela que le prophète Micah lie les 3 choses ensemble faire la justice et rechercher la bonté, et la pudeur dans le rapport à D. La seule manière d’avoir une action sociale efficacement bonne c’est la pudeur c’est à dire le recul face à ses idéaux et ses sentiments.
La pudeur dans le rapport à D c’est accepter le fait que l’on n’est pas ce que l’on devrait être. Normalement on devrait porter la burkah, mais on ne le fait pas, par pudeur dans son rapport à D, pour laisser en nous une contradiction entre ce que l’on voudrait être et ce que l’on est, et c’est a travers cette contradiction que le choix moral est possible. Ce n’est qu’à travers cette contradiction aussi que le rapport à D est possible. Le fait même que l’on pense que D nous parle et que nous parlons à D dans la prière, c’est l’affirmation que l’on existe individuellement dans l’absolue au dessus de la morale. Si on pense comme Levinas que l’on obtient un rapport transcendant à D par la morale on nie au moins une mitswah de la torah, c’est la mitswah de prier.
C’est pour cela que pour moi il est évident que des auteurs comme Molière, ou Sacha Guitry, sont des auteurs plus religieux et plus proche du talmud que des gens comme Levinas ou Derrida, par ce que, contrairement aux philosophes, le talmud ne se prend pas au sérieux.
Un exemple pratique pour illustrer l’idée exposée
Un autre paradoxe est que c’est dans l’acceptation des contradictions qu’il y a en soi que l’on peut vraiment être honnête avec soi même.
Par exemple lorsqu’une mère laisse ses enfants à un baby-sitter, d’un coté elle se sent coupable d’abandonner ses enfants, mais d’un autre elle se sent libérée d’un fardeau. Si cette mère n’accepte pas comme un fait établie la réalité incompressible des deux sentiments, elle risque d’être nerveuse et de ne pas se détendre pendant le temps libre qu’elle a. Au final elle risque de ne pas se détendre tout en ayant laissé son enfant chez le baby-sitter, elle aura obtenu les deux points négatifs de la situation, l’enfant est sans sa mère et en plus la mère ne s’est pas détendue. Elle peut aussi pour justifier son comportement se dire “mon fils n’a pas besoin de moi”, ou se dire “je n’ai pas besoin de me détendre,” ces deux mensonges qui ont pour but d’identifier la personne à un idéal, sont encore pire que la première réaction car ils peuvent arriver à la création d’une morale perverse.
La véritable manière d’envisager la situation moralement et d’être honnête avec soi même, c’est d’accepter que l’on n’est pas honnête en soi même. La véritable honnêteté, celle de la pudeur avec D, c’est de savoir que l’on a en soi des désirs incompressibles qui s’opposent. Ce n’est qu’après cette acceptation que le travail morale et religieux devient possible: Pendant combien de temps ai-je besoin de me détendre? Pendant combien de temps mon fils a besoin de moi ? Etc. Est-ce que je peux essayer de me contrôler cette fois là etc., est ce que je peux prier D. pour changer etc.
On comprend donc que la pudeur dans le rapport à D, dont parle le prophète Micah, c'est une sorte pudeur que l'on entretient entre soi même et l'injonction morale. La pudeur dans le rapport à D c'est l'acceptation d'une partie de soi comme irréductible face à la loi. Ainsi cette pudeur dans la pudeur n'est pas contradictoire à l'affirmation de son identité face aux autres, et face aux nations, au contraire, c'est cette pudeur dans le rapport à D qui est une affirmation de notre identité face à D et face aux nations. On comprend donc maintenant qu'il n'y a pas de contradiction entre le fait d'affirmer sa foi au yeux des nations et le fait d'être pudique dans son rapport à D, on comprend qu'il y a une continuité entre la mitswah de la vache rousse qui se fait à l'extérieur du camp pour se démarquer des nations, et le fait qu'il faille être pudique dans son rapport à la pudeur, et son rapport à la loi à l'intérieur de soi même, car dans les deux cas on ne fait que revendiquer son identité.
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