1- Les lois de la Sotah (la femme soupçonnée d'adultère) montre l'importance de la paix dans un couple.
La Parasha de la semaine dernière contient le passage de la Sotah. La Sotah est une femme qui est soupçonnée d’avoir trompé son mari. Malgré les mises en garde de son mari elle a été vue à plusieurs reprises en train de s’isoler avec un homme en présence d’un seul témoin. Son mari peut alors l’emmener au temple où on lui fera boire l’eau du Ciloe qui était un petit cours d’eau qui passe sous le temple et qui alimentait le kiyor une fontaine sacrée que les Kohanim utilisaient pour se laver les mains et les pieds avant le service du temple. Cette eau était mélangée préalablement avec de la poussière provenant du sol du temple.
On effaçait dans cette eau le nom de D’ ainsi que tout le passage de la bible qui parle de la Sotah. Si la femme était innocente, elle était bénie mais si elle avait trompé son mari elle mourait sous l’action de l’eau. Il y avait également tout un protocole dissuasif exercé sur la femme pour la dissuader de passer le test (on lui découvrait les cheveux, on lui arrachait une partie de ces vêtements…). Si elle refusait, elle devait simplement divorcer. Le fait d’effacer le nom de D’ pour faire jaillir la vérité était une mesure de dernier recours car c’est normalement un interdit grave. Cela montre bien l’importance de la paix conjugale puisque l’on accepte d’effacer le nom de D’ pour amener la paix entre l’homme et la femme.
2- Le rapport sentimental dans un couple est-il réellement si important dans la Torah?
On peut cependant s’interroger sur le sens de cette mitsvah. Le Talmud nous explique (Yomah 18) qu’à son époque un certain type de mariages était pratiqué par des Rabanim. Ils pouvaient ainsi se marier pour un laps de temps déterminé (1 jour, 1 semaine, 1 mois) lorsqu’ils voyageaient et étaient de passage dans une ville ou un village. Ensuite ils divorçaient simplement avant leur départ. Cela semblait être une pratique assez courante à l’époque de la Guemara.
De plus la conclusion du talmud au sujet du divorce est que si ils le veulent les conjoints peuvent divorcer sans aucune raison. C’est la halacha que tranche le Choulhane Arouh. Le Hinuch un commentaire du moyen age, souligne le fait que le judaïsme est très libéral sur sa conception du divorce contrairement au christianisme et “n'oblige pas les conjoints à rester unis pour le pire”.
Pourquoi alors s’acharner dans le cas de la Sotah jusqu’à effacer le nom de D’ pour connaître la vérité et recomposer le couple? En plus le verset semble parler du cas d’un couple qui n’aurait même pas d’enfants. Pourquoi tout ce cérémonial alors que les protagonistes pourraient simplement divorcer?
3- Les commentaires du Or Haim Hakadoch sur le passage de la Sotah.
Le Or Haim Hakadoch pose une série de questions sur le passage de la Sotah. Comment se fait-il que l’eau que l’on donne à la Sotah est appelée de “l’eau amère” alors que c’est de l’eau sainte du Ciloe utilisée pour les libations à Soucoth et pour purifier les prêtres?
Pourquoi cette eau est capable de donner à la fois la malédiction de la mort ou la bénédiction? La Sotah doit apporter également une offrande d’orge au temple (la même que les juifs devaient amener au lendemain de Pessah). Cette offrande est appelée l’“offrande qui rappelle la faute”.
De quelle faute s’agit-il?
Pour répondre à ces questions le Or Haim Hakadoch cite le passage du Talmud de shabbat qui dit que tout celui qui est né un lundi sera colérique parce que c’est le jour où D’ a séparé les eaux d’en haut de celles d’en bas. Cela avait entraîné une grande dispute entre les eaux vu qu’elles voulaient toutes monter vers D’ (la finalité de toute création est de se rapprocher de D’). Les eaux qui sont restées en bas étaient donc amères de leur séparation de D’. Cette amertume ne s’est réellement manifeste qu’après la faute du premier homme car avant ça la présence de D’ était uniforme. Après la faute D’ a du se retirer de la création, alors les eaux qui symbolisent le désire de la nature de s’approcher de D’ sont devenues “amères”.
En ce qui concerne la question de “l’offrande qui rappelle la faute” le Or Haim Hakadoch dit que Caïn (le fils que Eve avait eu avec le serpent d’après la Kabbale) avait apporte une offrande d’orge (le plus mauvais des produit de la terre). Cette offrande fut rejetée par D’. Il affirme que c’est cette offrande qui est rappelée par celle de la Sotah car elle rappelle la faute d’Eve avec le serpent qui a entraîné l’amertume de l’eau. Par la Sotah D’ donne ainsi à l’eau la possibilité de se venger de la femme en la tuant de son amertume. L’eau a soif de D’. Elle ne pourrait plus supporter à nouveau d’être éloignée en étant bu par une femme impie. Par contre si la femme est pure, elle élève l’eau qu’elle boit vers D’ et elle en reçoit en retour la bénédiction d’avoir des enfants. Le Or Haim Hakadoch conclue en disant que la femme est la cause de l’amertume du monde mais qu’elle est aussi la seule à pouvoir ramener la joie.
4- Une analyse morale du rapport amoureux pour expliquer la parabole de la séparation des eaux, la relation amoureuse d’Israël à D' et l'enjeu de la Sotah.
Avant d’approfondir l’idée de la séparation de l’eau et de son combat pour se rapprocher de D’, je vais faire une digression en décrivant certains aspects psychologiques de l’homme et de la femme qui pourraient nous éclairer sur le rapport de D’ avec l’homme. En effet la bible compare très souvent le rapport homme-femme au rapport entre D’ et l’homme (l’homme au sens générique être humain). A un tel point que le Talmud dans Yomah dit que le sens des chérubins dans le Saints des Saints qui représentaient un homme et une femme enlacées illustrait la transposition du rapport amoureux entre Israël et son D’.
5- Premier axiome: il n'y a pas de différence fondamentale entre l'égoïsme et l'altruisme.
Quand Jacob demande à son fils Joseph de l’enterrer en Israël, il dit: “tu feras avec moi un hessed (une bonté) de vérité” et Rachi commente en disant que le seul hessed de vérité est celui que l’on fait avec un défunt car on ne peut rien recevoir en retour. On peut déduire que l’acte de hessed qui est un concept opposé à celui de vérité est un hessed ou l’on reçoit quelque chose en retour. En effet chaque acte d’amour ou de bonté est en fait une tentative de séduction. Exemple simple si je ressens de la sympathie pour quelqu’un, que je suis sympa avec lui et que je me laisse séduire par lui, c’est déjà une tentative de séduction de ma part. Car le début de la stratégie de séduction c’est de se laisser séduire. (Tout ceux qui ont fait des études de marketing vous le diront, il faut aimer le client pour lui plaire).
Eprouver de l’amour ou de l’amitié pour quelqu’un c’est déjà tenter de le séduire. Il semblerait donc que tout amour soit narcissique c’est-àdire inévitablement tourné vers soi-même.
6- Tout amour semble donc narcissique mais l'amour narcissique est-il possible?
Spinoza dans l’Ethique dit que l’amour de D’ pour l’Univers c’est l’amour de l’Univers pour D’, puisque selon lui D’ c’est l’Univers. Il parle d’un “narcissisme ontologique” c’est-à-dire d’un amour narcissique de l’Univers tourné vers lui-même. Or ce concept est curieux car on ne peut pas s’aimer soi-même entièrement. On peut aimer quelque chose en soi-même, une partie de soi, mais la relation d’amour ne peut pas être une relation de soi à soi pleine et entière. On donne souvent comme exemple d’amour narcissique le culte que les femmes vouent à leurs corps (elles l’ornent d’habits, de bijoux…). Cela peut paraître comme une relation narcissique. Cependant cela n’en est pas vraiment une car la raison pour laquelle les femme aiment leur corps est parce qu’il leur parait mystérieux. Leur corps c’est quelque chose d’étranger qu’il faut pouvoir séduire et aimer. Contrairement à ce que soutenait Godard, ce ne sont pas les femmes qui habitent et assument le mieux leur corps, ce sont les hommes. (Franck Benhamou m’a fait remarquer que le Talmud dit “la femme est comme le corps du mari”. On ne dit pas le contraire car l’homme assume mieux son corps que la femme.) En fait le rapport d’amour absolument narcissique n’existe pas.
Ce que l’on aime en soi, on le considère obligatoirement comme extérieure à soi et c’est ce qui nous permet de l’aimer. On a donc établit que l’amour de l’autre est un amour de soi, mais l’amour entier de soi à soi ne pouvant pas exister, il doit donc partir d’un morcellement de la conscience de soi. Le premier acte d'amour est un morcellement de sa propre conscience propre. C’est un suicide partiel.
7- Le rapport d'ouverture à l'autre est un morcellement de soi qui nécessite en retour une reconnaissance de son unicité par l'autre.
Qu’attend-t-on de l’amour? Ce que nous attendons en retour c’est que l’autre nous réapproprie cette partie morcelée de nous. Quand Lacan dit que le comportement essentiellement féminin est de chercher les compliments et les louanges, cela s’explique par le fait qu’elles sentent leur personnalité morcelée et qu’elles cherchent donc une unification de leur conscience par la reconnaissance de l’autre. C’est cette reconnaissance qui va permettre aux femmes de se réapproprier ce pour quoi elle sont louée, et ainsi d’avoir une conscience unifiée de leur personne. Cependant cette réunification ne dure pas et reste tributaire de la reconnaissance de l’autre, et c’est un bien, car cela condamne les femmes à aimer, à séduire en se laissant séduire.
8- L'explication de la parabole de la séparation de l'eau.
Si l’on revient à notre midrash c’est peut-être ça la coupure entre l’eau d’en haut et celle d’en bas. Pour que l’eau (ou la nature) ne soit pas amère, elle doit d’abord se morceler en deux parties où une des parties reconnaît en l’autre morceau quelque chose de divin qui lui permettra en retour de vouloir monter également. On ne peut aimer que soi-même mais la partie de soi que l’on aime, on l’isole de notre conscience. Lorsque le Or Haim Hakadoch dit que les femmes rendent l’eau amère c’est parce que le morcellement de leur personne crée la sensation de manque. Elles attendent de le combler par une réunification de leur conscience. Elles mettent ainsi en marche le mécanisme de l’amour universelle qui peut trouver sa finalité soi vers D’ dans le cas de la femme vertueuse, soit vers la femme elle-même dans le cas de Eve avec le serpent. Dans ce cas l’amour devient crime car il y a sacrifice d’une partie de l’amant sans qu’il y ait restitution.
9- Par ces idées on peut envisager un éclairage nouveau sur la mitsvah d'aimer D' en lui rendant son unicité.
Toujours dans le cadre du parallèle entre le rapport homme-femme et le rapport à D’, on peut comprendre comment dans le Shema Israël on concrétise l’amour de D’ par le fait de déclarer son unification. D’ en donnant la Torah à l’homme et en lui parlant veut le séduire. Pour cela D’ doit entrer “kavyachol” dans un rapport pseudo narcissique à lui même (comparable au rapport au corps chez la femme). C’est la raison
pour laquelle D’ a plusieurs langages quand il s’adresse à l’homme. Comme le talmud le dit à chaque fois qu’il y a une discussion et divergence de vue entre deux maîtres, “les deux points de vue sont les parole d’Elohim”. C’est aussi l’idée exprimée quand on dit qu’“il y a 70 facettes de la Torah” c’est-à-dire de multiples interprétations possibles ou mode d’accès au texte. Cela symbolise “le morcellement de D’” en quelque sorte. L’expression de l’amour de l’homme envers D’, c’est l’acte de l’unifier c’est-à-dire de donner une cohérence entre toutes les facettes de la Torah. C’est ce que nous disons dans le Shema D’ est Un. Juste après on lit : “ Et tu aimeras Hashem…, tu étudieras…”. Aimer D’ c’est l’acte de l’unifier même si cette unification n’est évidemment pas une unification réelle de D’ lui-même puisqu’il nous dépasse complètement. C’est juste la possibilité qu’a l’homme de rendre l’amour qu’il a reçu de D’ lorsqu’il s’est révélé et nous a parlé pour nous séduire et nous aimer.
10- L'amour pour la Torah ne peut-être envisager qu'à travers une alliance qui rend les protagonistes uniques dans leurs relations.
On comprend mieux aussi l’idée du D’ jaloux qui demande un alliance entre les juifs et lui-même. En effet en se morcelant, en s’adressant à l’homme par la Torah ou la prophétie, D’ se “suicide” en quelque sorte pour nous afin que nous puissions l’unifier. Si nous servons finalement un autre D’, nous le trompons et lui enlèvons sa spécificité de D’ unique. Il en est de même pour le rapport homme-femme où la Torah demande une alliance (c’est-à-dire un contrat de mariage) car tout dialogue et tout amour et un suicide partiel par morcellement de soi.
Ce suicide ne peut être réparé que par la reconnaissance de l’autre. Si on ne peut pas compter sur la reconnaissance de son unicité et de sa spécificité, on est trompé par l’autre. Cela devient un crime.
11- L'enjeu dans la Sotah c'est préserver l'alliance non le couple. Revenons à l’importance du chalom bait. Maimonide fait remonter l’étymologie du mot “sotah” à “shotah” (qui veut dire la folle). Mais qu’est-ce qu’un fou pour la bible? C’est celui qui n’est pas conséquent. Dans les lois du loulav, le myrte qui fait pousser trois feuilles dans certains endroits et deux à d’autres endroits est appeléun myrte fou parce qu’il n’est ni régulier, ni conséquent. Le problème de la Sotah n’est pas qu’elle veuille tromper ou qu’elle trompe effectivement son mari mais plutôt qu’elle ne veuille pas divorcer. Cequ’on lui reproche ce n’est pas de vouloir mettre un terme à sa relation maritale mais plutôt de ne pas avoir le courage de le faire.
La Torah admet le mariage pour un jour mais à condition que les deux parties sachent clairement que le mariage ne durera qu’un jour et que l’alliance soit clairement contractée de manière temporaire. Par conte la Torah interdit au mari d’avoir des rapports avec sa femme si il désire divorcer alors qu’il ne l’a pas mise au courant de ses intentions (ou l’inverse). Tout acte d’amour d’un des conjoints est un suicide de sa personne. Celui qui n’est pas fidèle à l’alliance est donc considéré comme un criminel.
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