Etude comparative entre Noah et Avraham
La parasha commence par le verset suivant: “voici les descendances de Noah, Noah était un homme juste parfait dans sa génération, Noah allait avec D: et Noah a engendré trois fils Chem Ham et Yafet”. Ce verset semble difficile dans sa structure, car il commence par annoncer la descendance de Noah, puis, de manière étrange, le verset continue en nous disant que Noah était un juste parfait dans sa génération. En quoi le fait que Noah soit un juste est il lié à sa descendance? Rashi, en citant le midrash, donne deux explications complémentaires, la première est que “lorsque l’on mentionne un tsadik (un juste) on doit raconter ses éloges”, la deuxième, “c’est que la descendance principale d’un juste ce sont ses bonnes actions, (alors que les enfants ne sont qu’une postérité secondaire face aux bonnes actions du juste)”.
Il y a une énormité dans la deuxième réponse de Rashi, on sait que c’est des trois enfants de Noah que descend toute l’humanité, puisque ce sont les seuls rescapés du déluge. A la première lecture on aurait donc pense que la plus grande des bonnes actions accomplies par Noah a été de sauver l’humanité et le monde animal, ce qui exigeait de Noah la construction de la tevah, ainsi que de pourvoir pendant un an a tous les besoins des survivants.
A priori, on aurait dit que la plus grande des actions de Noah a été d’avoir des enfants, et de les avoir fait survivre le déluge. Or Rashi en citant le midrash déduit du premier verset de la parasha que ce n’était pas le cas, Noah aurait laissé un héritage et une postérité même si il n’avait pas eu d’enfants, et même si l’humanité avait été détruite par le déluge. Comment est-ce possible?
Il semble que Rashi veuille dire que le bien ultime que l’homme peut accomplir n’est pas un bien qui se réalise dans une fin utile dans le monde, mais un bien qui se réalise dans le domaine de l’idée, du concept, indépendamment de l’existence même de la réalité matérielle.
Cette idée, tout a fait platonicienne se retrouve dans Maimonide dans son introduction au commentaire des mishnayot, lorsqu’il explique le passage du traite de Berahot qui dit “ D n’a dans son univers que les quatre coudées de la halakha”, là bas, Maimonide explique en citant Platon que l’univers est régi par une hiérarchie, il pense que le rôle du végétal est de faire exister l’animal, et l’animal permet l’existence de l’homme, or, ce qui différencie l’homme de l’animal, ce qui le place au dessus de l’animal, c’est sa faculté de juger entre le bien et le mal, et sa capacité à conceptualiser par l’abstraction, il faut en déduire que l’abstraction théorique métaphysique est le but de l’univers, c’est selon Maimonide l’explication du talmud lorsqu’il dit que “pour D l’univers ne contient que les quatre coudées de la halacha”
Cette idée parait difficile car si c’était vraiment le cas, si l’étude de la métaphysique est vraiment la réalisation de la vie, alors, pourquoi D a-t-il demandé a Noah de construire une tevah pour sauver sa descendance et les animaux, si D voulait préserver l’humanité ou la descendance de Noah il aurait pu le faire lui même sans déranger Noah, et sans le perturber dans sa recherche du bien absolue qui dépasse l’existence du monde.
Revenons a la première idée que Rashi a rapporté qui disait que lorsque l’on mentionne un juste on doit aussi dire ses éloges, Rashi reporte cette idée une deuxième fois dans son commentaire sur la torah au sujet d’Avraham, lorsque D veut l’avertir de la destruction de Sodome chap. 18 verset 18, or étrangement, là bas, quel est l’éloge que l’on donne sur Avraham “puis je cacher quelque chose d’Avraham… alors qu’Avraham sera le patriarche d’une nation nombreuse et puissante”. On voit ici une contradiction évidente, puisque Rashi, dans notre parasha, au sujet de Noah, pense que l’éloge principale que l’on peut donner à un juste c’est sa droiture car elle prime sur sa descendance, alors que Rashi dans la parasha de vayerah au sujet d’Avraham pense que le plus grand éloge que l’on peut donner au sujet d’Avraham concerne sa descendance.
Il semble aussi qu’en utilisant dans son commentaire la même expression “ le souvenir du juste doit être suivi d’une bénédiction”, pour Avraham et Noah, et exclusivement a leurs sujets, Rashi veuille nous inviter à faire une comparaison entre Avraham et Noah dans leur rôle pour l’humanité.
Dans le troisième Rashi de la parasha la comparaison entre Avraham et Noah est plus explicite, le verset dit “Noah allait avec D, Rashi commente: “pourtant au sujet d’Avraham il est écrit “D au devant duquel je suis allé”, Noah avait besoin d’une aide pour le soutenir alors qu’Avraham se renforçait et allait dans sa justice de lui même”.
Rashi explique que le fait “d’aller avec d’” implique que l’on a besoin d’un soutien, pourquoi? Le Maharal explique que le fait de vivre dans la proximité de D est un soutient pour l’homme, D ne se sépare jamais de Noah, alors qu’Avraham est nécessairement séparé de D lorsqu’il subit les épreuves.
Ainsi la tevah “la boite” de Noah prend un nouveau sens allégorique, Noah se réfugie dans sa proximité avec d’ pour échapper au chaos du monde, il reste dans les 4 coudées de la halacha et de la métaphysique. Alors qu’Avraham affronte le chaos universel à bras le corps. La Mishna dans pirkei avoth (chap. 5, 3) compare Noah a Avraham, “il y a dix génération de Noah a Avraham, pour montrer que D a été magnanime, et il n’a pas exterminé les 10 générations bien qu’elles se rebellaient contre D, jusqu’à ce qu’Avraham vienne et prenne le salaire de toutes ces 10 générations” si on en croit la Mishna D aurait du détruire l’humanité à l’époque d’Avraham, comme à l’époque de Noah, mais Avraham a réussi à sauver toute l’humanité, (contrairement à Noah qui n’a sauvé que sa famille) par ce que Avraham “a prit le salaire de toutes ces générations”, qu’est ce que cela veut dire?
Il semble qu’Avraham a réussi à donner un sens à toutes les générations qui s’étaient révoltées contre D, il a fait de la récupération, c’est le sens de ce que D dit “tous les peuple de la terre seront bénis par lui”.
Mais comment Avraham a-t-il fait cela? En vivant au-devant de D dans l’épreuve.
Lorsque l’on voit les épreuves d’Avraham on constate qu’elles sont toutes une sorte de coupure, de vivisection: d’abord il doit quitter sa famille, ensuite il doit chasser son fils, ensuite il doit se circoncire, ensuite il doit tuer son fils, on a l’impression qu’il doit toujours élaguer, couper des branches, se mutiler pour se purifier, pourquoi?
Par ce que si Avraham veut donner un sens au chaos ambiant, il lui faut d’abord qu’il retrouve ce chaos en lui même, ce n’est que lorsque il retrouve ce chaos en lui même, qu’il va pouvoir l’ordonner et lui donner un sens, d’abord en lui même puis dans sa famille, pour qu’ensuite, dans un troisième temps, d’une manière mécanique inéluctable, cet ordre s’étende a toute l’humanité.
L’homme qui veut vivre dans la dynamique du monde ambiant devient lui même la réflexion de cette dynamique, il ne s’agit pas pour lui de détruire le monde et le chaos, mais de l’organiser différemment, de briser les cercles vicieux, qu’il y a en lui pour ensuite les briser dans la société.
Le but d’Avraham dans ses épreuves était de créer à partir du chaos une dynamique de construction qui s’oppose à la dynamique de destruction qui avait été établie jusqu’a présent.
Pour cela il fallait élaguer pour organiser différemment la structure de la société humaine, et par la même d’abord sa propre organisation psychologique.
Par exemple, Avraham quitte sa famille idolâtre, mais à la fin son père fait techouvah, le départ d’Avraham a permis a son père de retrouver son fils, il fallait casser le lien pour le reconstruire. C’est la même chose avec Ishmaël et Agar, à la fin Avraham se remarie avec Agar, mais il y avait quelque chose de pourrie dans sa relation avec Agar, cette pourriture nécessitait un divorce temporaire, c’est la même chose avec le ligotage d’Isaac, et la milah.
La méthode d’Avraham c’est la méthode de la frappe chirurgicale, il ne veut jamais détruire quelque chose de mauvais, il cherche plutôt a analyser ce qui fait que cette cellule a un effet pervers dans le système universel, ensuite il ligote la cellule pour lui rendre une dynamique positive.
A sa mort, Avraham a réussit à créer le système dynamique qui assure la survie a long terme de l’univers, mais la réalisation du système n’a pas lieux de son vivant, elle n’aboutira que lorsque le Mashiah viendra, après la purification d’Ishmaël et d’Esaü.
C’est le sens de la Mishna dans pirkei avoth qui fait un parallèle entre les dix paroles qui ont créées le monde et les dix épreuves d’Avraham. Avraham à la fin de sa vie a créé la molécule, le système dynamique de la civilisation qui va sauver l’humanité de manière inéluctable, mais le véritable aboutissement du système ne se réalisera qu’à travers sa descendance, c’est pour cela que chez Avraham c’est la descendance qui est considérée comme la postérité.
C’est ce que le midrash appelle aller au devant de D, par ce que pour D le mal ne peut être que détruit, c’est ce que la torah veut nous montrer dans le dialogue entre D et Avraham au sujet de Sodome, Avraham cherche un moyens de sauver Sodome, mais D n’est pas d’accord. Si on parle d’un éloignement de D de la part d’Avraham, c’est par ce que l’homme qui choisit de dealer avec le mal, est obligé de se salir les mains, Avraham vit dans un état de suspension morale par delà le bien et le mal.
On ne peut pas comprendre les épreuves d’Avraham si on utilise les règles de la morale classique, comme on ne peut pas comprendre le mouvement des astres en utilisant la géométrie euclidienne, Avraham a cette liberté face à la morale par ce qu’il évolue dans un monde ou de toute les manières tout est perdu, et ou tout va être détruit si on ne fait rien, Avraham évolue dans une situation constante de “pikuah nefesh”. (Le cas de force majeur ou pour sauver la vie humaine la halakha peut être suspendue).
Si on revient à Noah on se rend compte qu’au contraire il ne veut pas s’éloigner de la morale pure ou les concepts de bien et de mal ont encore un sens, c’est pour cela qu’il se condamne à vivre en vase clos, par ce que ce n’est que dans l’isolement que le bien et le mal peuvent être des concept absolues.
Par exemple, le fait de battre son fils cela peut être vu comme un acte de violence pure et comme du mal à l’état brut, pourtant la Mishna dit celui qui ne frappe pas son fils montre de la haine envers lui, il en va de même avec la guerre, ou l’amour et tout les rapports avec les autres, lorsque l’on rentre dans le monde du social, les concepts de bien et de mal perdent la netteté de leurs contours, et Platon devient ridicule.
Pourtant Hashem demande à Noah de construire la tevah pourquoi?, en fait l’idée de Noah est de faire rentrer le plus de monde possible dans les quatre coudées de la halakha, il ne cherche pas à sauver une société en bloc, il ne cherche pas à créer une dynamique sociale, il cherche à sauver le plus d’individualité possible, qui vivraient en communauté unis par leur rapport a la morale pure, qui sont unis par le dialogue dans l’abstraction, c’est pour cela qu’il ne peut sauver que peu de monde. (L’universel noahique est différent de l’universel avramique) Pour revenir a nos questions du début, il semblerait que la survie de l’univers ou son développement ne soit pas un but en soi selon la torah, sinon on ne pourrait pas comprendre le déluge ou les catastrophes naturelles; pour que le monde est un sens il faut qu’il tendent a une réalisation dans une transcendance, le tsadik est d’abord celui qui vit dans le rapport a cette transcendance, mais son rôle est aussi de réaliser cette transcendance dans le monde, c’est pour cela que D demande a Noah de construire la tevah.
Si on considère la postérité d’Avraham par ses enfants c’est par ce qu’il réalise son ascèse spirituelle à travers eux.
Il est amusant de remarquer que Noah et Avraham sont décrits dans les midrashim de manière très différentes, d’un cote Noah est décrit comme un surdoué dans le monde du business de l’époque, puisqu’il est le premier homme non palmé selon la torah, il peut semer le grain plus facilement que les autres, au niveau de la sexualité il est décrit comme ayant une sexualité bien définie, bien qu’il n’a des enfant que très tard, le midrash attribue cette paternité tardive a une bonté de D, le midrash ne remet pas en cause la sexualité de Noah “il a subjuguer sa source” dit le midrash, pour ne pas avoir d’enfant, cette expression tout a fait unique semble indiquer une sexualité puissante.
Alors qu’Avraham comme sarah sont décrit comme des être presque androgynes, (transsexuels) qui ont eu du mal a se définir sexuellement, (yebamot 64b) Sarah était “ailonite” c’est a dire qu’elle avait une voix d’homme, pas de seins, et pas de matrice, alors qu’Avraham est un toumtoum c’est à dire que sa verge “n’était pas apparente”, jusqu’à ce qu’ils se créent eux même une identité sexuelle claire, c’est ainsi que le talmud explique que Avraham prend Sarah pour sa sœur.
C’est amusant, par ce qu’il semble qu’il y ait un lien entre ces interprétations midrashiques et le rapport au monde des deux tsadikim Noah et Avraham.
On a l’impression que celui qui sent un rapport dialectique fort entre son corps et son esprit, qui a une conscience clair de ses désirs, comme Noah, va trouver un sens dans la réflexion métaphysique pure, alors que celui qui a naturellement un perception floue de ses désirs physique, comme Avraham, va chercher a se réaliser dans le rapport aux autres, par ce qu’il a besoin du miroir des autres pour voir plus clair en lui même.
L’exemple le plus clair dans la littérature française c’est Proust qui est constamment malade et qui a du mal à sentir son corps, et on sait que dans la recherche du temps perdu il est en fait tout les personnages, qui sont aussi ses amis, il ne peut comprendre les différentes facettes de sa personnalité qu’à travers le miroir des autres. (Cela expliquerait aussi pourquoi les femmes sont plus sociales que les hommes.) On comprend aussi que la dialectique Noah /Avraham c’est la dialectique Parménide/ Platon. La morale de l’histoire.
Pour la torah il n’y a pas de contradiction entre Noah et Avraham, entre une vérité immanente au monde ou transcendante, car l’homme lui même est en balancement entre ces deux optiques, tout le monde est Noah sur certain points, et Avraham sur d’autre.
Par exemple, il y a des choses qui ne me touchent pas du tout comme un épisode de star academy, le rapport que je peux avoir avec un épisode de star academy cela ne peut être qu’un rapport platonicien ou noahique, je peut analyser et développer des concept abstraits, faire de la généalogie de la sociologie etc., ce n’est pas en cherchant dans mes émotions que je pourrais apprendre quelque chose de nouveaux grâce à star academy. Par contre il y a des choses avec lesquelles je sens une affinité sentimentale, un sentiment diffus plus ou moins chaotique et contradictoire, (par exemple, Naruto), ici, c’est plus en faisant de l’introspection que je risque de découvrir des choses nouvelles et intéressantes.
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