Introduction
Le cours est un peu la suite du cours précédent à deux titres. Premièrement, ce cours est une suite à la réponse à la question de Joseph Perez sur la fin du dernier cours. Deuxièmement, c’est la suite de l’analyse du rapport paradoxal qui existe chez l’homme dans son rapport à lui même, dans sa volonté d’être autonome et original ou authentique.
Dans le dernier cours j’avais parlé d’Adam et Eve et de la relation homme-femme telle qu’elle pouvait apparaitre dans la parasha de Bereshit. A la fin de la réflexion je disais que la torah ne parlait pas réellement d’une essence de l’identité masculine ou féminine, mais plutôt d’une relation dynamique entre ces deux êtres, et que d’une certaine manière on pouvait inverser les agents de la relation, c’est à dire que parfois l’homme pouvait être Eve, et la femme Adam. Puisque la relation est toujours en mouvement. A mon avis on pouvait envisager la relation homme femme comme la polarité de deux aimants, les aimants peuvent se repousser s’ils sont de la même polarité, ou s’attirer, mais ce qui est certain c’est que leur relation crée une dynamique et un mouvement. Cependant, il n’empêche que les aimants sont interchangeables dans leurs positions. De la même manière je disais que l’on ne peut pas déduire de la torah une définition de l’essence de l’homme et une definition de l’essence de la femme.
Joseph Perez a simplement demandé pourquoi je refusais de lire dans le texte de la torah une définition claire et immuable d’une essence féminine ou masculine, alors que cette définition semblait être la lecture la plus évidente dans le texte.
La réponse que je vais exposer dans ce cours, tient à dire que l’on ne peut pas parler d’une essence intemporelle de “la nature humaine” et à plus forte raison que l’on ne peut pas parler d’une essence intemporelle de la nature masculine ou féminine, puisque l’identité de l’homme ou de la femme se crée et se construit dans le présent. Proposer “une identité féminine éternelle” ou “une identité masculine eternelle” reviendrait à dire qu’il y a une essence stable et définie de ses identités, alors que l’on peut soutenir au contraire, qu’il n’y a pas de nature réel de l’homme ou de la femme, comme il n’y a pas d’essence stable qui définirait la nature humaine.
Si on suit cette hypothèse de “la non stabilité du soi”, si on pense que le soi est quelque chose que l’on invente à chaque instant dans le présent, on comprend qu’il est dangereux de proposer des identités toutes faites à des lecteurs, surtout si on parle au nom de la torah, puisque le lecteur risque de s’identifier aux identités proposées, ce qui risque de rendre ces lecteurs incapables de suivre leurs propres voix, ou de s’inventer eux même. Lorsqu’un auteur propose des identités toutes faites il risque d’empêcher les lecteurs de devenir eux même. En fait, c’est cette démarche que les régimes fascistes utilisent pour fonder leur société. C’est aussi cette méthode qui est utilisée par les publicistes ou les élites culturelles, pour créer des hommes ou des femmes objets.
Cependant, il n’est pas évident que cette théorie de “la construction du soi” soit compatible avec la torah, car si on pense qu’il n’y a pas de nature humaine immuable à proprement parler, cela revient à dire qu’il ne peut pas y avoir de loi imuable dans le temps. Penser que la nature de l’homme est une création en constante évolution, cela revient à dire que chaque époque crée son langage et que ce langage rend caduc et obsolète le langage antérieure. De plus la nécessité de la construction de soi semble défier l’idée d’une morale imposée de l’extérieure, or la loi de la torah semble être une morale imposée de l’exterieure.
Avec l’aide de D nous allons essayer d’analyser ces idées à travers des midrashim qui parlent d’Abraham de Noah et de la génération de la tour de Babel.
1- Abraham l’homme qui va devant D. en se construisant lui même.
La parasha de la semaine commence par les versets suivantes
Ceci est l'histoire de Noé. Noé fut un homme juste, irréprochable, entre ses contemporains; il se conduisit selon Dieu. 0 Noé engendra trois fils: Sem, Cham et Japhet. 11 Or, la terre s'était corrompue devant Dieu, et elle s'était remplie d'iniquité.
Rashi commente en disant.
Noah marchait avec Eloqim Tandis qu’il est écrit à propos d’Abraham : « marche devant moi et sois intègre » (infra 17, 1), « Hachem, devant qui j’ai marché » (infra 24, 40). Noah avait besoin d’un appui qui le soutînt, alors qu’Abraham était assez fort et marchait dans sa piété, de lui-même
Rashi, cite le midrash qui dit que Noah avait besoin d’une aide pour le supporter alors qu’Abraham allait au devant de D. il est difficile de concevoir ce que le midrash appelle “aller au devant de D”. La torah dit que l’on ne peut pas rajouter des interdits aux interdits de la torah. Si Abraham avait rajouté des interdits à ceux qui étaient prescrits par D, on ne pouvait donc pas dire de lui qu’il allait au devant de D. Abraham avait donc fait autre chose pour que l’on puisse dire de lui “qu’il allait au devant de D”, contrairement à Noah, oui, mais quoi?
On peut expliquer ce midrash a partir des versets de Isaïe 51 qui parlent d’Abraham : Ecoutez-moi, vous qui poursuivez la justice, vous qui recherchez l'Eternel! Jetez les yeux sur le rocher d'où vous fûtes taillés, sur le puits de carrière d'où vous fûtes extraits. 2 Considérez Abraham, votre père, Sara, qui vous a enfantés; lui seul je l'ai appelé, je l'ai béni et multiplié.
Le talmud dans Yebamoth 65 explique que la raison pour laquelle le prophète Isaïe compare Abraham et Sarah à un rocher, ou à un puits de carrière, c’est par ce que de la même manière qu’un roc doit être taillé et un puits creusé dans la roche, pour prendre forme à partir de rien, ainsi, Abraham et Sarah se sont recréés eux même à partir de rien.
Le talmud Yebamoth 65 va jusqu’à dire qu’Abraham et Sarah n’avaient pas de sexes définis à la naissance, et qu’ils ont du eux même par des opérations chirurgicales développer leurs membres. Le deuxième verset de Isaïe qui est traduit ici par “lui seul je l’ai appelé” est interprété dans le midrash d’une manière différente car en hébreu le verset se lit “ehad kerativ”, “je l’ai appelé le ehad”, “je l’ai appelle le numéro un”, le midrash explique qu’Abraham est unique à l’image de D par ce qu’il s’est auto créé.
Un autre midrash au début de Lech Lecha dit que lorsque D a dit à Abraham de quitter sa famille, alors Abraham a dit à D “si je laisse mon vieux père tout seul, pour accomplir ton ordre, cela va être une désacralisation du nom divin car les gens vont dire, “pour glorifier D Abraham a laissé son père qui était âgé tout seul”. Et D a répondu “toi tu t’es auto crée, toi, et toi uniquement je t’exempts du devoir d’honorer tes parents”.
Il semble que le principal attribut d’Abraham, ce qui le différencie des autres justes, c’est qu’il était en constante recherche de lui-même. Il semble aussi que cette recherche de lui-même n’était pas une méditation ou une sorte de psychanalyse, qui aurait pour but de découvrir sa véritable essence. Il semble au contraire que la recherche de soi est vue par le midrash comme une création, la recherche de soi est comparée à la taille d’un rocher ou a un puits que l’on creuse. Il apparait de ce midrash que si l’homme cherche à être authentique il ne doit pas faire un retour sur lui même mais il doit plutôt prendre position et s’opposer à des influences extérieures. C’est par ce qu’Abraham a su s’opposer aux influences de son père, qu’il a pu devenir le premier. Si Abraham a trouvé sa voie c’est par ce qu’il ne laissait pas la voix des autres parler à travers lui.
Pour le midrash l’homme se construit lui même, et il se retrouve lui même en s’opposant, et en prenant position face à des influences ou face à des discours. C’est ce que le midrash dit encore au sujet d’Abraham “pourquoi Abraham est appelé “l’hébreu” ? (le mot hébreu peut vouloir dire “celui qui vient de l’autre cote”) “par ce que tout le monde était d’un coté et Abraham était de l’autre cote”. La prise de position de celui qui cherche sa voix n’est pas toujours une opposition radicale, cela peut être une interprétation, une adaptation, c’est à dire une appropriation du discours de l’autre. Mais celui qui se cherche se trouve en prenant position face à des influences et inventant ainsi son propre langage et sa propre personnalité.
Il reste cependant à comprendre pourquoi cette recherche d’authenticité, et d’originalité, est considérée comme aller au devant de D. La recherche de soi peut parfois être au contraire le moteur d’une rébellion face à D.
2- La recherche de soi comme révolte contre D.
La parasha nous donne un exemple de la recherche de soi comme étant le moteur d’une révolte radicale contre D. En effet dans le troisième verset nous lisons : Or, la terre s'était corrompue devant Dieu, et elle s'était remplie d'iniquité. Les exégèses expliquent que “la corruption devant D” fait référence à l’idolâtrie et l’immoralité sexuelle, ces fautes n’étaient faites que “devant D”, c’est à dire que se sont des fautes privées, qui se font en cachète et qui ne dérangent personne à part D. Si la situation était restée comme cela la terre n’aurait pas été détruite par le déluge, mais dans un deuxième temps la terre s’est remplie d’iniquité c’est à dire que la violence est devenue publique, les gens ont commencé à s’entretuer et à se voler. Le rav David Feinsten note ici que le “devant D” du verset montre que devant D il est évident que les fautes privées vont entrainer les fautes publiques. (cf. Talmud Nedarim 65)
Mais pourquoi? On peut proposer cette explication, il semble que lorsque l’homme fait une faute, et qu’il ne peut plus s’identifier à l’image morale qu’il avait de lui même. Cet homme est obligé de se créer une nouvelle identité qui l’accepte comme faisant cette faute. De plus, celui qui faute, si il veut s’assumer, doit rejeter en bloc la source de l’interdit en disant “c’est vous (les autres) qui avez projeté cette valeur et cette identité sur moi, mais au fond de moi je n’ai jamais pensé que c’était interdit”. Après la faute, l’individu se trouve dans un premier temps tenté de rejeter la valeur morale qu’il a enfreint, et dans un deuxième temps, il est tenté de faire pire, et de devenir violent face aux autres, face à ceux qui représentent pour lui cette valeur morale qu’il rejette.
Par exemple, si un homme est pris en flagrant délit par sa femme en train de la tromper, son premier reflexe n’est pas de s’excuser, mais au contraire de s’énerver contre sa femme, ou vice versa, si une femme est prise en flagrant délit d’adultère, son premier reflexe est de s’énerver contre son mari. Dans les deux cas, celui qui faute va justifier son comportement en disant qu’il se recherche lui même, et qu’il doit se libérer d’une identité ou d’une relation qui le brimait.
Puisque l’individu se crée dans le présent et qu’il est au fond une argile malléable, l’homme peut se découvrir lui même en rejetant toutes les identités morales existantes et générant une violence gratuite envers les autres.
Il est donc difficile d’envisager la recherche de soi comme une volonté de perfection morale. Pourquoi, alors on dit au sujet d’Abraham qu’il allait au devant de D en se cherchant et en se construisant lui même?
3- L’alcool comme une rédemption pour l’humanité
Avant de répondre à cette question je voudrais répondre à une autre question sur la parasha de Noah.
Lorsque Noah sort de la tevah D promet par une alliance qu’il ne va plus jamais détruire la terre dans son intégralité. La raison pour laquelle D ne veut plus détruire la terre c’est par ce que l’homme est excusable “puisque le penchant de l’homme est mauvais depuis sa naissance”. Ce passage de la torah pose un problème évident, car, déjà, avant le déluge D savait que le penchant de l’homme était mauvais. Alors, pourquoi D excuse l’homme uniquement après le déluge, D aurait du excuser l’homme à cause de sa mauvaise nature avant le déluge! On ne comprend pas pourquoi uniquement après le déluge D peut faire une alliance avec Noah, en lui promettant que plus jamais, quoi qu’il arrive, il ne détruira plus de manière massive l’humanite. Quel est l’événement qui a eu lieu et qui porte D à faire une telle promesse.
On peut repondre a cette question grâce à un passage du talmud dans Eruvin 65. Le talmud dit que si D a promis de ne plus jamais détruire l’humanité en entier, et si D excuse l’homme par avance de ses fautes c’est par ce que Noah a inventé l’alcool. En effet le sacrifice que Noah fait a D est accompagné de libation de vin, et ce sont les libations de vin qui font que D promet à Noah de ne plus jamais détruire l’humanite. Le talmud explique que les libations dans le sacrifice sont un appel à l’homme pour qu’il imite le créateur, et pour que lui aussi s’intoxique d’alcool. Le talmud décrit pendant une demi page l’importance de boire abondamment, je cite des passages “toute maison dans laquelle on n’a pas bu autant de vin que d’eau, ce n’est pas une maison bénie”, ou encore “tout celui qui se laisse séduire par l’alcool atteint un niveau de connaissance proche de celui de D”, ou bien “celui qui s’apaise en buvant de l’alcool est plus intelligent que les 70 sages du sanhédrin” etc. il faut comprendre ce que le talmud veut dire, comment le talmud voit dans l’alcool ce qui sauve l’humanite et ce qui la justifie essentiellement devant D.
Pour expliquer l’importance de l’alcool dans le talmud, il faut d’abord répondre à la question précédente, qui s’interrogeait sur la portée morale par la construction de soi, car les deux questions sont liées. C’est à dire que pour comprendre le rôle de l’alcool pour le judaïsme, il faut mettre en lumière la différence essentielle qu’il ya entre la recherche de soi d’Abraham, et celle décrite plus haut dans l’exemple de l’homme qui trompe sa femme, et qui dit qu’il ne l’a jamais aimée.
Cette différence tient au fait que l’homme qui remet en question l’amour de sa femme ou son amour pour elle, quand il se justifie, il n’est pas en train de construire sa personnalité en se recherchant lui même. Ce qu’il fait c’est quitter un discours auquel il s’était identifié pour s’identifier à un nouveau discours, il quitte une identification pour en chercher une autre, mais il ne se crée pas lui même. Avant il aimait sa femme, maintenant il n’aime plus sa femme. Il passe d’une identification positive qui disait :”je veux être comme tel ou tel” à une identification négative qui dit “je veux être le contraire”.
Les psys pensent qu’une femme recherche toujours un conjoint qui soit comme son père ou bien le contraire de son pere, mais dans les deux cas la femme ne fait que s’identifier à son pere. Soit elle veut être son pere elle même, dans ce cas elle va chercher celui qui correspond à son père dans une relation symétrique, c’est à dire le contraire de son père, soit elle veut être la compagne de son père, donc elle va chercher quelqu’un qui ressemble à son père. Dans les deux cas il n’y a pas de création de soi, il y a une identification au père.
Par contre, celui qui se cherche lui même d’une manière authentique, celui ci, ne s’identifie pas à un autre discours lorsqu’il prend position, il reste suspendu à la décision du moment sans la systématiser dans une identification.
Rabenou Yona dit dans la lettre de la techouvah que celui qui fait techouvah doit se considérer comme si il était né aujourd’hui et qu’il n’avait aucun mérite ni aucun faute, la techouvah tiens dans la capacité de rester dans une position vierge de tout a priori à chaque instant, c’est dans cet espace où tout est possible qu’habitait Abraham.
Pour revenir à l’importance de l’alcool qui protège l’humanité du déluge, c’est par ce que l’alcool permet de ne pas systematiser ses erreurs, de fuir la stabilisation dans une identité. On peut boire après la faute et oublier pour repartir à zéro. L’alcool peut recréer la situation d’après le déluge “en miniature”, c’est à dire que l’alcool peut créer un état de virginité moral. Si les gens de la génération de Noah n’avaient pas systématisé leurs erreurs, ils ne seraient jamais passés de la faute privée à la faute publique. La génération du déluge ne serait jamais passée de l’immoralité sexuelle ou de l’idolâtrie à la violence publique. Si un homme boit après la faute il peut éviter la justification de soi dans une identification négative. Ce que Noah a créé en faisant de l’alcool c’est la possibilité pour l’homme de créer une rupture dans son histoire, une possibilité de repartir à zéro. Dans ce sens l’alcool est à prendre dans un sens allégorique, tous les divertissements peuvent avoir le même rôle que l’alcool, le théâtre, le cinéma, la poésie, la danse tout les divertissements sont inclus l’idée de la vigne. Le talmud dit “on ne peut dire un poème qu’en buvant du vin”. Tous les arts sont des garde-fous pour l’humanité, ils permettent à l’homme de s’évader de lui même et de retrouver une virginité morale.
Comme dirait Nicolas hulot “Si Hitler avait regardé les guignols de l’info, il n’aurait pas écrit Mein Kampf”.
4- Les raisons de la chute spirituelle de Noah par l’alcool.
Pourtant l’alcoolisme de Noah se termine mal. Pourquoi?
Si on revient sur le midrash cité dans Rashi au début de la parasha, qui décrit Noah comme allant avec D et qui décrit Abraham comme allant au devant de D. Il semble que Noah contrairement à Abraham s’annule devant D, il fait ce qu’on lui dit de faire. Noah veut assurer la pérennité de l’humanite, il veut assurer la continuation des générations antérieures. Il est intéressant de noter que Noah est considéré, au contraire d’Abraham, par le Tanah Devei Eliaou, comme celui qui a accompli la mitsvah d’honorer ses parents de la manière la plus parfaite qui soit, puisqu’il s’est occupé des personnes âgées de toute sa génération. Noah ne cherche pas à s’auto créer, il cherche à s’annuler devant la volonté de D. Ce que la torah veut nous montrer avec l’histoire de Noah quand il se saoule et qu’il est violé par son propre fils, c’est que lorsqu’un homme suit le chemin de Noah, et qu’il s’annule devant une discipline, il est condamné à avoir des moments où il va complètement rejeter cette discipline. Si un homme cherche à vivre des moments tout blancs il se condamne à vivre des moments tout noirs. La torah excuse ces égarements par ce qu’ils sont naturels et humains, mais il faut savoir qu’ils sont inévitables quand on suit le chemin de Noah. Il n’y a qu’Abraham qui est capable de monter spirituellement toute sa vie sans jamais chuter, par ce qu’il vit constamment dans l’ivresse de la liberté.
5- Abraham ne pouvait exister qu’après la génération de la tour de Babel.
Le midrash dit que les gens de la génération de la tour de Babel aimaient la torah, mais qu’ils n’aimaient pas D. C’est pour cela qu’ils décident de s’unir et de lutter contre D en construisant une tour. Pour les punir, et pour éviter le succès de la construction, D mélange leurs langues, et les hommes s’éparpillent à travers la terre. Quel est le sens de cette histoire ?
La raison pour laquelle l’homme doit se construire dans le présent en prenant position et ne s’opposant pas à des influences, découle du fait qu’il n’y a pas de nature humaine à proprement parler. Le fait qu’il n’y ait pas de nature humaine stable et intemporelle a une autre conséquence, c’est le fait que tous les langages sont des constructions humaines qui évoluent dans le temps. C’est à dire que les langues se construisent dans le présent et qu’elles ne correspondent pas forcement à une vérité préexistante. Aucun langage ne décrit la vérité de manière absolue, tous les langages sont liés à des moments historiques et à des endroits géographiques ainsi qu’à des sociétés. Les langages se créent et disparaissent à l’intérieur de ses sociétés.
Par exemple lorsque l’on proclame des “droits de l’homme” et que l’on a parlé de “nature humaine” dans la constitution française, il est clair que ces concepts sont des inventions de la révolution française. La nature humaine dont parle la constitution n’est pas la nature humaine dont parle Platon, ni même de la nature humaine telle qu’elle est décrite dans la torah (le penchant de l’homme est mauvais depuis sa naissance). Chaque langage est la création d’une époque pour une société donnée. C’est à dire que le langage est une construction du présent, un nouveau langage né lorsqu’il permet d’exprimer des idées que l’on ne pouvait pas exprimer dans l’ancien langage. Le langage ne reflète pas la réalité, mais il reflete un rapport à la realite. Le langage est aussi une prise de position et une création.
La torah nous dit que dans un premier temps, avant la tour de Babel, le langage correspondait à une realite absolue et universelle. Tout le monde parlait la même langue tout le monde la comprenait. Ce langage était un langage intemporel et absolu, ce langage crée une symbiose entre les membres de la société qui étaient tous unis et interchangeable/ les individus interchangeables et égaux aiment la loi et la respecte, c’est dans ce sens qu’il faut comprendre le midrash qui dit que la torah aurait pu être donné à la génération de la tour de Babel. On comprend que la génération de la tour de Babel est une conséquence possible de Noah, qui se plie à l’ordre de D. La génération de la tour de Babel c’est Noah sans l’alcool, cependant ce rapport au langage crée une haine de D. Pourquoi?
On peut expliquer ce phénomène de la tour de Babel en se basant sur des exemples. Ce qui se rapproche le plus du langage intemporel (des gens de Babel) décrite dans la torah, c’est la langue des philosophes. Les philosophes essaient de créer des concepts qui dépassent le rapport à la réalité d’une société. Ils cherchent à créer des concepts éternels et intemporels. On voit bien que les philosophes ont un problème avec D, ils ont toujours tendance à définir D comme un concept. Les philosophes ont du mal à voir D comme un être existant qui nous parle et auquel on peut parler.
Si un homme essaie de prendre le point de vue de l’absolu, si il cherche à parler comme si il habitait l’éternité, pour lui D devient un concept, un mot qu’il a crée. L’exemple le plus criant est celui de Spinoza, spinoza aime D, on peut même dire qu’il croit en D, mais il ne peut pas lui donné plus de substance qu’a un concept, par ce que justement Spinoza se place dans l’optique de l’éternité. Dans l’optique de l’éternité pour l’homme, D ne peut être qu’une équation. Quand l’homme se met à parler en se plaçant dans l’optique de l’absolu alors le monde devient désenchanté il n’a plus de magie, on sort de l’être pour entrer dans la raison.
La torah explique que D, a du diviser les langages pour sortir l’humanite de l’impasse de la raison. Lorsque le langage est devenu relatif à un groupe ou a une société, le rapport à D est redevenu possible. Grace à la multitude des groupes et des cultures, les individus se remettent en question et remetent en question leurs valeurs. L’exposition de l’individu à une pluralité de culture oblige l’individu à se positionner et prendre des décisions. La mosaïque des cultures rendait la construction de soi possible. La mosaique des cultures rendait Abraham possible. Abraham est le fruit de la génération de la tour de Babel.
6- Abraham et la loi
Ce qui est remarquable chez Abraham c’est sa générosité, et sa tolérance, il laisse tout passer, il ne se sent propriétaire de rien. Il est prêt à laisser sa femme à quelqu’un d’autre, il prie pour les gens de Sodome. Le fait qu’Abraham soit si tolérant envers autrui découle du fait qu’il est l’inventeur de sa propre morale. En général l’homme devient violent lorsqu’il défend des valeurs qui ne sont pas celles qu’il a créées. Lorsqu’un homme sait qu’il est le créateur de ses propres valeurs, il est conscient qu’elles lui sont relatives, il sait aussi qu’un autre homme ne peut intégrer des valeurs que par choix personnel.
On dit que les terroristes utilisés par Ben Laden étaient complètement “brain washed”, on peut certainement dire aussi que Ben Laden n’a pas intégré le message religieux, et qu’il était lui aussi “brain washed” (ce qui ne l’excuse pas), car si il avait intégré le message religieux, il n’aurait jamais usé de la violence pour le défendre.
L’homme devient violent ou possessif lorsqu’il défend des valeurs qui ne sont pas les siennes. La violence et la volonté de posséder sont le symptôme de l’homme qui s’identifie à un discours pour se protéger, et qui refuse de se créer dans le présent.
Ce qu’il reste à expliquer c’est le sens d’une loi éternelle comme la torah, dans un processus de création de soi qui se joue dans le présent. Si l’homme n’a pas de nature stable comment peut-on garder une loi éternellement? On peut dire pour répondre que la torah permet à l’homme de fuir les identifications, elle permet à l’homme d’habiter dans le point de l’équilibre où tout est possible. Le fait de savoir que la torah est d’origine divine et qu’on ne peut pas la comprendre dans l’absolu, tout en étant obligé de lui donner un sens par l’étude, permet à l’homme de renouveler son discours constamment de le remettre en question sans s’identifier à une image de lui définitive.
(Ce texte est construit à partir des travaux de Richard Rorty)
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