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Writer's pictureRav Uriel Aviges

Shelah Leha 5774

Désir et humilité

1- Le complot des explorateurs

La parasha nous raconte l’histoire des explorateurs envoyés pas Moshé dans le désert pour visiter la terre d’Israël. Les versets disent : « L'Éternel parla ainsi à Moïse: 2 "Envoie toi-même des hommes pour explorer le pays de Canaan, que je destine aux enfants d'Israël; vous enverrez un homme respectivement par tribu paternelle, tous éminents parmi eux." 3 Et Moïse les envoya du désert de Pharan, selon la parole de l'Éternel; c'étaient tous des personnages considérables entre les enfants d'Israël. 4 Et voici leurs noms. Tels sont les noms des hommes que Moïse envoya explorer la contrée. (Moïse avait nommé Hochéa, fils de Noun: Josué). 17 Moïse leur donna donc mission d'explorer le pays de Canaan, en leur disant: "Dirigez-vous de ce côté, vers le sud, et gravissez la montagne. 18 Vous observerez l'aspect de ce pays et le peuple qui l'occupe, s'il est robuste ou faible, peu nombreux ou considérable; 19 quant au pays qu'il habite, s'il est bon ou mauvais; comment sont les villes où il demeure, des villes ouvertes ou des places fortes; 20 quant au sol, s'il est gras ou maigre, s'il est boisé ou non… »

Pour comprendre ce texte il est bon de rapporter deux passages du commentaire de Rashi. Voici, le premier, « Envoie-toi : À ton gré. Quant à moi, je ne te l’ordonne pas. Si tu veux, envoie-les », dans ce commentaire Rashi cite le talmud (Sota 34) disant explicitement que D n’a jamais commandé à Moshé d’envoyer des explorateurs. C’est Moshé qui a pris cette décision.

Regardons maintenant un autre commentaire de Rashi : « Mochè appela Hoché‘a fils de Noun yehoshuah… Il a prié pour lui : « Veuille Hachem te sauver (qa yochi‘akha) du complot des explorateurs ! » (Sota 34b). » Dans ce texte, Rashi semble affirmer, qu’au moment même ou Moshé envoi les explorateurs, il est conscient que ces derniers sont en train d’organiser un complot. Moshé sait même que les explorateurs vont tenter d’assassiner Josué. Pourtant, tout en étant conscient des mauvaises intentions des explorateurs, Moshé décide malgré tout de les envoyer, et qui plus est, il envoie consciemment Josué avec eux, tout en sachant qu’il y a de grandes chances pour que ce dernier ne rentre pas vivant de sa mission.

Or, ceci est tout a fait étonnant, car si D n’a pas commandé à Moshé d’envoyer les explorateurs et qu’en plus Moshé sait que ces explorateurs organisent un complot, il n’avait aucune raison de les envoyer ! L’envoie des explorateurs semble être une action suicide entreprise consciemment par Moshé. Pourquoi Moshé organise-t-il donc de son plein gré l’échec de l’accession des juifs en terre d’Israël ? Et pourquoi est-il prêt à mettre en danger Josué, celui qui était pressenti pour être son successeur ?

2- Un autre coup monté

Avant de répondre a cette question, je vais en demander une deuxième, qui va dans le même sens, mais qui éclaire d’avantage le lien unissant Moshé et Josué.

Lorsque Moshé va mourir, il parle a Josué en lui disant « Alors, Moïse appela Josué, et lui dit en présence de tout Israël: "Sois fort et vaillant! Car c'est toi qui entreras avec ce peuple dans le pays que l'Éternel a juré à leurs pères de leur donner, et c'est toi qui leur en feras le partage. » Par contre, lorsque D parle a Josué il lui dit « Et l'Éternel donna ses ordres à Josué, fils de Noun, et lui dit: "Sois ferme et courageux! Car c'est toi qui introduiras les Israélites dans la terre que je leur ai promise, et moi je t'assisterai. » Il y a une nuance importante entre le discours de D et celui de Moshé.

Lorsque Moshe parle à Josué il lui demande d’entrer avec le peuple en Israël, alors que lorsque D parle à Josué, il demande à Josué d’amener le peuple en Israël. Dans le discours de Moshé, Josué, n’est que le premier parmi ses pairs, il n’a pas les pleins pouvoirs, alors que lorsque D parle Josué, il lui demande d’être un dictateur guidant le peuple du haut de sa montagne.

A ce sujet, Rashi cite les paroles du talmud « Car toi, tu viendras avec ce peuple-ci [Comme le rend le Targoum Onqelos :] « Tu monteras avec ce peuple-ci ». Mochè a dit à Yehochou‘a : « Les Anciens de cette génération seront avec toi, et tout sera fait selon leur avis et leur conseil. » (Sanhèdrin 8a). Mais le Saint béni soit-Il a dit à Yehochou‘a : « … car toi, tu feras venir les fils d’Israël vers le pays que je leur ai juré » (verset 23). Tu les feras venir contre leur gré [si nécessaire], cela ne dépend que de toi. Prends un bâton et frappe-les sur le crâne [si nécessaire]. Il doit y avoir un chef par génération, pas deux ! ».

Or, il est évident que Moshé n’avait pas le droit de modifier le message de D. Alors comment est-il possible que lorsque Moshé parle à Josué, il lui demande de prendre en compte le désir du peuple alors que lorsque D parle Josué il lui demande de frapper sur le crâne des anciens ?

Il est important de remarque que le message de Moshé a été donne publiquement, comme le verset le dit « Alors Moïse appela Josué, et lui dit en présence de tout Israël », alors que le message de D a été donne en privé à Josué. Puisqu’il est exposé à un double discours, Josué se retrouve dans une position politique très délicate et quasi intenable, en effet, il doit écouter l’ordre de D qui lui demande de commander, sans demander le conseil des sages, mais d’un autre coté, les sages et le reste du peuple ne seront pas prêt à accepter son avis facilement si il cherche à l’imposer, puisque les juifs pensent que D, par la bouche de Moshé, a demandé à Josué de faire consensus et d’écouter l’avis de tous.

Par la suite, les versets expliquent que les anciens vont haïr Josué toute sa vie, car il ne demandera jamais leur avis, ils le haïront au point où, ils ne lui feront pas d’éloge au moment où il va être enterré. On a l’impression que Moshé a fait un coup monté à Josué, et qu’il chercher à saboter son pouvoir ou sa popularité en transformant le message divin.

Comment comprendre un tel comportement de la part de Moshé ? Moshé a-t-il cherché à faire assassiner Josué lorsqu’il a envoyé les explorateurs ? Moshé voulait il saboter le plan divin qui consistait à faire rentrer les juifs en Israël sous la direction de Josué ?

3- Rahav et Tsiporah deux modalités de l’érotisme

Il est rare que la torah décrive de manière spécifique le type d’attraction sexuelle qui se dégage d’une femme, il est intéressant de constater qu’elle le fait en ce qui concerne la femme de Moshé et celle de Josué. En fait, la torah oppose radicalement le « sex appeal » de la femme de Moshé, à celui de la femme de Josué. Si la torah entre dans ces détails, ce n’est pas pour nous faire baver, c’est pour nous guider et nous en apprendre un peu plus sur la personnalité de Moshé et de Josué.

La femme de Moshé Tsiporah est décrite de la manière suivante « Myriam et Aaron médirent de Moïse, à cause de la femme éthiopienne qu'il avait épousée, car il avait épousé une Éthiopienne ». Rashi commente « La femme, la Kouchith, Cela nous apprend que tous s’accordaient sur sa beauté, de même que l’on ne peut que s’accorder sur la couleur noire d’un Éthiopien (Sifri). », « Car il avait pris une femme Kouchith Que veulent dire ces mots ? Ils nous apprennent qu’il existe des femmes belles physiquement mais pas moralement, d’autres qui sont belles moralement mais pas physiquement, mais que celle-là était belle à tous points de vue (Sifri). La femme, la Kouchith On l’appelait Kouchith à cause de sa beauté, tout comme on appelle un bel enfant kouchi (« nègre ») pour en écarter le mauvais œil (Midrach Tan‘houma). »

Tous ces midrashim expriment le fait que Tsiporah était belle, mais qu’elle était très typée, c'est-à-dire qu’elle correspondait à un certain type de beauté remarquable et indiscutable, mais ce n’était pas une beauté qui éveillait le désir de tous. Elle représentait le canon d’une beauté très spécifique, que certaines personnes désiraient et que d’autres préféraient montrer de loin, comme on pointe un étranger.

Par contre, la femme de Josué est décrite comme étant une prostitué qui tapinait depuis l’âge de dix ans et qui a arrêté sa carrière à l’âge de 50 ans pour se marier à Josué. (Yalkouth chimoni). Rahav, était une femme désirée de tous, au point où le talmud dit que tout celui qui disait son nom avait une émission séminal sur le champ. Le talmud dit ailleurs que Josué était le seul qui était capable de contenir son sperme en voyant sa femme.

La femme de Josué est décrite comme étant une des plus belles femmes de l’histoire, mais contrairement à la femme de Moshé, la beauté de la femme de Josué semble exciter un désir universel, que tout le monde ressent. (Le mot Rahav veut dire large, ce qui exprime la largeur universelle de la beauté de cette femme) Rahav ressemble a une actrice de cinéma qui est un model pour toute les femmes de son époque et le fantasme de tous les hommes, un peu comme Marylin, ou BB, alors que Tsiporah c’est plutôt Joséphine Backer en plus religieuse.

Si la torah nous raconte cela c’est pour nous dire que Moshé et Josué ont des personnalités tout à fait opposées. Moshé est attiré par un type très précis et très spécifique de fille, cela veut dire qu’à la base il a une personnalité très définie et très typée. Alors que Josué est capable de se marier avec une prostituée qui s’est tapée la moitié de la planète avant lui, cela montre qu’ au contraire, qu’il a une personnalité très souple, très adaptable et mal définie, qu’il a tendance naturellement à se fondre dans l’universel, à trouver beau ce que tout le monde trouve beau. Tout le travail spirituel de Moshé est de devenir humble, c'est-à-dire qu’il doit apprendre durant toute sa vie à assouplir sa personnalité, à faire abstraction de lui même, pour se fondre avec la volonté de D et l’amour de son peuple. C’est pour cette raison qu’après le don de la torah, il se sépare définitivement de sa femme.

Pour Moshé l’ascèse spirituelle vient justement par l’annulation de sa personnalité. Les versets disent : « Myriam et Aaron médirent de Moïse, à cause de la femme éthiopienne qu'il avait épousée, car il avait épousé une Éthiopienne, (Et maintenant il l’avait répudiée (Midrach Tan‘houma). 2 et ils dirent: "Est-ce que l'Éternel n'a parlé qu'à Moïse, uniquement? Ne nous a-t-il pas parlé, à nous aussi?" L'Éternel les entendit. 3 Or, cet homme, Moïse, était fort humble, plus qu'aucun homme qui fût sur la terre ». Comme le remarque Lyor Dahan, a priori, on ne voit comprend par pourquoi, la torah prend la défense de moise en disant qu’il était humble ! Comme si Moise avait répudié sa femme par ce qu’il était humble ! Quelle est la relation de causalité entre l’humilité et le divorce d’avec Tsiporah?

La causalité est pourtant limpide, l’humilité c’est le contraire de l’amour. Aimer c’est assumer son désir et sa personnalité, être humble c’est nier sa personnalité et donc ne pas assumer son désir. Tout le travail de Moshé était de devenir humble, il devait oublier le fait qu’il avait grandi chez pharaon comme un prince égyptien, c’est pour cette raison il ne pouvait pas aimer. Moshe n’est pas né humble, il doit le devenir, à un point extrême pour faire un avec le peuple et un avec D, c’est pour cela qu’il doit nécessairement cesser de désirer. Par contre, Josué est humble par essence c’est un homme qui n’a pas une personnalité définie, la torah nous dit « c’est un homme qui ne sort pas de la tente », Josué, c’est le premier de la classe avec les grosses lunettes. Tout le travail de Josué est opposé a celui de Moshé, il doit au contraire se trouver lui même et définir qui il est. Tout le travail de Josué est de définir sa personnalité et d’assumer son désir.

Moshe l’a bien compris, c’est pour cette raison qu’il met consciemment Josué dans des situations conflictuelles où Josué va être obligé de se battre pour survivre.

Moshe sait que les explorateurs vont chercher à tuer Josué, mais il veut que Josué rentre en conflit avec les explorateurs et avec le réel, pour que Josué soit obligé de s’affirmer lui même. Il est nécessaire que la vie de Josué soit mise en danger, pour qu’il se sente obliger d’affirmer sa personnalité, afin qu’il ressente un besoin vital d’affirmer son droit à vivre et à désirer.

C’est pour cela aussi, que, consciemment, Moshé place, avant de mourir, Josué dans un rapport conflictuel avec les anciens de son époque. Moshe, sait que Josué ne pourra devenir lui même que si il est placé dans une situation conflictuelle où il est obligé de luter pour survivre. Sans cela, Josué restera un gentil intellectuel, c'est-à-dire, un gros beta, vivant dans sa bulle et déconnecté de la réalité. Lorsque Moshé envoie les explorateurs, il sait déjà qu’il ne rentrera pas en Israël. Dans la parasha de la semaine dernière les prophètes Eldad et Médad avaient déjà prophétisé « Moshé va mourir et Josué fera entrer les juifs en Israël ». Moshé sait que, pour l’instant, ni lui ni les juifs ont l’envergure spirituelle nécessaire à la conquête d’un pays.

Mais Moshé envoie tout de même les explorateurs, uniquement pour mettre Josué en situation de conflit, pour former la mentalité de leader de Josué. En fait, Moshé ne s’est pas trompé lorsqu’il a envoyé les explorateurs, il voyait le long terme, il savait que grâce à cette expérience Josué allait acquérir la personnalité nécessaire à la conquête d’Israël.

C’est ce que le verset dit « et Moshé a appelé Josué, D te sauvera ». C’est-à-dire qu’à partir de ce moment, Moshé savait que Josué serait capable de conquérir la terre d’Israël.

4- La guerre et l’amour

Le passage des explorateurs suit immédiatement, l’épisode de Tsiporah se plaignant de son divorce à Miriam. Rashi propose une explication « Envoie-toi des hommes Pourquoi le chapitre relatif aux explorateurs fait-il immédiatement suite à celui de Miriam ? Parce qu’elle a été punie pour avoir calomnié son frère, et ces dépravés, qui ont pourtant assisté à cet événement, n’en ont pas tiré la leçon. (Midrach Tan‘houma) ». On peut en proposer une autre.

Si Moshé est incapable de faire entrer les juifs en Israël, c’est par ce qu’il était incapable d’aimer. Aimer c’est souffrir et faire souffrir, c’est comme faire la guerre. Pour Moshé et toute sa génération, l’ascèse spirituelle consistait à effacer sa personnalité pour recevoir une vérité universelle et éternelle, dans cette optique, la génération du désert ne pouvait pas justifier moralement une guerre.

Pourquoi désirer la terre d’Israël ? En quoi la terre d’Israël serait elle différente d’une autre terre ? D n’est il pas partout ? L’homme humble qui nie son désir, ne peut pas désirer une terre. Le modeste qui ne sait pas désirer une femme, ne peut pas désirer une terre on plus.

Pour l’homme humble toutes les femmes se valent, et tous les pays aussi. Moshe aime tous les juifs, mais c’est justement pour cette raison qu’il ne peut pas désirer sa femme, c’est pour cette raison qu’il ne peut pas entrer en Israël.

La génération du désert doit « sortir d’Égypte », c'est-à-dire qu’elle doit nier une partie de son identité et de son passé, elle ne peut donc pas s’affirmer comme peuple conquérant.

Par contre, Josué peut faire entrer les juifs en Israël, par ce que pour lui et sa génération, il n’est pas question de nier son origine ou son identité, il est question au contraire d’assumer son droit à exister. Pour la génération de Josué l’ascèse spirituelle passe par le développement et l’épanouissement personnel, par l’assomption de son désir et de sa personnalité. Pour cette génération, être soi même c’est être proche de D, pour la génération de Moshé s’assumer et être soi même, cela voulait dire se révolter.

Josué est appelé le fils de Noun. Ce nom s’écrit avec deux « Noun », le premier « Noun » est tordu alors que le deuxième est droit (Noun final), Le talmud  (Chabath 104a) explique, qu’au début Josué était courbé et que dans sa vie il a du apprendre à se redresser. « Noun » veut dire aussi poisson en araméen. Josué est opposé à Moshé qui « est sauvé des eaux », alors que Josué doit apprendre à vivre dans l’eau. (L’eau dans les midrashim symbolise le désir, par ce que l’eau comme le désir fait pousser les choses et fertilise.)

La parasha de la semaine dernière nous raconte la séparation de Moshé avec sa femme, alors que la hafatarah de la semaine nous raconte la rencontre entre Josué et sa femme. Moshe doit se séparer de sa femme par ce qu’il ne peut pas partir en guerre, alors que Josué rencontre sa femme en faisant la guerre. Par ce que faire la guerre c’est assumer son désir, c’est souffrir et faire souffrir.

Dans la haftarah, Josué envoie des explorateurs pour espionner la ville de Jéricho. Le malbim remarque une différence fondamentale entre les explorateurs envoyés par Josué et ceux envoyés par Moshé. Lorsque Moché envoie des explorateurs, il leur demande de rapporter des informations superficielles sur les infrastructures du pays et son économie, alors que Josué n’est pas intéressé par des informations pratiques sur la ville, il veut connaitre la psychologie des gens du pays.

Le mot utilisé dans le texte de Josué est « lahpor » « creuser », alors, que chez Moshé le mot utilisé est « leraguel », marcher. Josué est capable de voir l’intériorité des gens, c’est pour cela qu’il découvre la femme qui se trouve à l’intérieur de Rahav, Josué ne s’arête pas à l’image érotisée que tout le monde voit en elle. C’est pour cela qu’il voit dans cette prostituée une grande générosité, alors que Moshé s’arête toujours à l’aspect extérieur des actions. Josué est lui même très souple et peu défini, il comprend l’intérieur mais il ne voit pas l’extérieur, en confrontant Josué avec le réel, Moshé veut apprendre a Josué à voir l’extérieur.

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