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Writer's pictureRav Uriel Aviges

Vayigash 5770

La parasha de la semaine nous raconte la confrontation entre Juda et Joseph. Selon le midrash la confrontation qu’il y a entre Joseph et ses frères tire ses racines d’une dispute qu’il y a en entre Rachel et Jacob. En effet dans la parasha de Vayetseh la torah raconte une discussion étonnante entre Jacob et Rachel. Rachel veut que Jacob prie pour qu’elle ait des enfants et Jacob refuse.

En effet les versets disent : Rachel, voyant qu'elle ne donnait pas d'enfants à Jacob, conçut de l'envie contre sa sœur et elle dit à Jacob."Rends moi mère, autrement j'en mourrai!" Jacob se fâcha contre Rachel et dit: "Suis-je à la place de Dieu, qui t'a refusé la fécondité. Et Rashi explique “Donne-moi: Est-ce là ce que ton père a fait à ta mère ? N’a-t-il pas prié pour elle ? ! Qui t’a refusé : tu me dis de faire comme mon père ! C’est que je ne suis pas comme mon père ! Mon père n’avait pas d’enfants. Moi, j’en ai ! C’est à toi que Dieu t’a refusé la fécondité, pas à moi !”

Ce passage de la torah est très énigmatique. La première question concerne la réponse de Jacob à Rachel. Pourquoi Jacob refuse-t-il de prier pour que Rachel ait des enfants? De plus, on voit par la suite que Jacob préfère les enfants de Rachel à ceux qu’il a eu avec ses autres femmes, certains versets des prophètes disent même, que Jacob travaille chez Lavan pendant 14 ans uniquement pour avoir Joseph, alors, comment peut-il refuser de prier pour que Rachel ait des enfants? Comment peut-il dire je suis content des enfants que j’ai avec les autres femmes? D’autre part la logique que les versets proposent pour articuler la demande de Rachel parait peu cohérente. En effet, au début du verset, lorsque la torah parle de la jalousie de Rachel envers sa sœur, le midrash semble dire que Rachel savait qu’elle devait faire techouvah si elle voulait avoir des enfants. Ainsi Rashi dit “Rachel envia sa sœur Elle a envié ses bonnes actions. Elle se disait : « Si elle n’était pas plus vertueuse que moi, elle n’aurait pas mérité d’avoir des enfants ! “» Rachel semble se rendre compte que si Léa a des enfants c’est à cause de ses mitsvoth, et que si elle veut des enfants il faut qu’elle fasse aussi des mitswoth. Dans ce cas, elle n’aurait pas du demander à Jacob de prier pour qu’elle ait des enfants, il suffisait qu’elle face techouvah elle même. C’est d’ailleurs ce que Jacob semble répondre à Rachel lorsqu’il lui dit “je ne suis pas D, c’est de ta faute si tu n’as pas d’enfants”. D’ailleurs lorsque Joseph nait la torah dit explicitement que D s’est souvenu des mérites de Rachel et que c’est pour cela qu’elle a été exaucée, et pas à cause d’éventuelles prières. On ne comprend donc pas pourquoi Rachel veut que Jacob prie pour qu’elle ait des enfants.

Il faut aussi comprendre ce que Rachel veut dire lorsqu’elle dit “si je n’ai pas d’enfant je suis morte”, on sait que les femmes ne sont pas astreinte de la mitsvah d’avoir des enfants. La torah n’oblige pas les femmes à se marier, contrairement aux idées reçues, la torah ne pense pas que c’est une mitsvah pour la femme de se marier, la torah ne considère pas que la réalisation d’une femme passe nécessairement à travers ses enfants, alors pourquoi Rachel dit-elle “si je n’ai pas d’enfants c’est comme si j’étais morte?”

Nous avons déjà dit que Rachel et Léa symbolisent deux forces dans le peuple d’Israël. Rachel c’est la force du silence et Léa c’est la force de l’expression. D’autre part Rachel est appelle “akereth habayt” ce qui peut être traduit de deux manières. Soit, c’est le ikar de la maison, c’est à dire l’essentiel de la maison de Jacob, soit c’est la akara, c’est à dire que c’est celle qui est stérile dans la maison. Le fait que la torah a utilisé cette détermination équivoque pour parler de Rachel nous porte à penser que la raison pour laquelle Rachel est le principal de la maison c’est par ce qu’elle était stérile. C’est la stérilité qui rend Rachel le centre de la maison de Jacob.

Rachel n’est pas enterrée dans la tombe de Mahpelah avec son mari elle est enterrée toute seule sur le chemin à l’extérieur d’Israël. Rachel est la seule matriarche à être enterrée en exil. Le Maharal explique que si Rachel est enterrée sur le chemin, c’est par ce qu’elle est le principal de la maison de Jacob, et que la construction d’une maison c’est un processus et un cheminement infini, la construction d’une maison c’est une errance et un exil. La construction d’une maison c’est un processus.

Rachel symbolise la force du silence mais elle est aussi la force motrice, c’est elle qui apporte le mouvement dans la maison, c’est Rachel qui crée l’instabilité dans la maison, Rachel est stérile mais elle est le moteur de la maison. Il faut comprendre comment ces deux notions de “silence” et de “moteur” attribuées à Rachel peuvent s’accorder ensemble.

Dans le monde de la création l’histoire est pleine de personnages “moteurs silencieux”. Par exemple Socrate engendre la philosophie moderne sans jamais rien écrire. Plus près de nous on peut citer Nietzsche qui écrit une “non œuvre” et qui féconde une nouvelle pensée. Dans le monde de la torah il y a l’exemple du Gaon de Vilnah qui a écrit très peu et qui n’est pratiquement jamais sorti de sa chambre pourtant c’est son œuvre qui a engendré toute la torah moderne de la “post hascalah”. Plus proche de nous on peut citer rav Abitbol ou Benny Levy. Dans tout ces cas, c’est justement par ce que l’on est devant des “non œuvre” que l’on est devant une pensée fécondante, pourquoi?

Dans le monde du business on peut observer dans la plus part des domaines l’existence de très grosses structures qui dominent largement leurs secteurs. Par exemple aujourd’hui personne ne peut produire en France un yaourt aussi bon marché et aussi rapidement que Danone. Pourtant il y a des petites structures qui parviennent à subsister et faire du profit, bien que théoriquement elle ne pourrait pas soutenir la compétition, comment est-ce possible? Par ce que les grosses structures manquent de flexibilité et de souplesse. Pour gérer une grosse structure la direction est obligée de fixer des plans et des objectifs, la direction ne peut pas prendre de liberté face à un plan fixé à l’avance, si il y a une opportunité qui apparait après la formulation d’un plan ou de priorités, la direction est obligé de la laisser passer. Si une entreprise veut rester flexible elle est obligée de limiter sa taille. Cet exemple montre bien qu’il y a une différence essentielle entre la construction d’un système et l’ouverture sur la surprise de l’imprévu.

Ce qui est vrai dans le monde du business est aussi vrai dans le monde de la pensée, il y a d’une part les penseurs qui construisent des systèmes d’interprétation, des bâtisseurs de structures conceptuelles cohérentes, qui cherchent à intégrer les questions de l’actualité dans des systèmes intemporelle (Hegel, Kant). Pour ces penseurs les sujets d’intérêts de départs sont toujours intemporels, pourquoi y a-t-il quelque chose plutôt que rien? Qu’est ce qu’un homme? Et d’autre part il y a les penseurs qui réagissent aux circonstances du présent, qui ne bâtissent pas de système, les auteurs d’aphorisme. Il est très rare de voir les deux démarches chez la même personne, par ce que ces deux démarches sont des mouvements intellectuels opposés, soit on cherche à bâtir une structure et une stabilité rassurante, soit on cherche l’imprévu du nouveaux. Soit on préfère la cohérence soit on préfère la surprise et la brisure. Les systèmes conceptuels sont toujours bâtis sur des idées neuves ou sur des brisures, mais celui qui crée la brisure est rarement celui qui cherche à la systématiser.

La volonté de systématiser et de construire c’est la force de l’expression de Léa. Alors que la force du silence qui crée le processus, c’est la force de Rachel. C’est la force de ne pas construire, la volonté de se taire et de ne pas systématiser qui permet de créer un impacte fécondant chez l’autre.

Celui qui veut créer l’impacte fécondant chez l’autre doit se condamner lui même à une certaine stérilité.

A partir de là on peut comprendre la discussion entre Jacob et Rachel.

Rachel était celle autour de laquelle toute la maison de Jacob évoluait. Si Léa avait eu des enfants c’était grâce à Rachel, si Jacob aimait Léa c’était grace à Rachel, Rachel était le moteur de la famille qui créait le mouvement chez Jacob, Léa et les autres enfants. L’emprunte de l’influence de Rachel était visible chez tous les enfants de la famille. Pour Jacob c’était la raison pour laquelle D avait rendu Rachel stérile, tout les enfants de la famille était avant tout ceux de Rachel, si Rachel commençait à avoir des enfants par elle même, automatiquement, l’influence de Rachel sur les autres enfants de la famille allait diminuer. Si Rachel avait des enfants par elle même elle allait créer une sorte de schisme dans la famille, d’un coté il y aurait les élus qui descendent de Rachel et de l’autre les enfants de Léa. C’est pour cela que Jacob refuse de prier pour que Rachel ait des enfants, Jacob préfère avoir 12 Joseph qui héritent de la force de Rachel et de Léa, qu’un Joseph qui a la force du silence et 10 autres qui ont la force de l’expression.

Pourtant le midrash dit que Rachel a raison de demander à Jacob d’avoir des enfants, car si Jacob n’avait pas favorisé Joseph par rapport aux autres frères il n’y aurait pas eu de conflit entre les frères (talmud Chabath). Le fait que Jacob n’a pas prié pour Joseph a entrainé que Jacob a vu Joseph comme un cadeau du ciel qu’il n’avait rien fait pour mériter. C’est par ce que Jacob n’avait rien fait pour avoir Joseph qu’il l’a tellement préféré aux autres frères. Si Jacob avait prié pour Joseph et qu’il avait fourni des efforts pour l’avoir, si Joseph avait été le fruit d’un travail ou d’une construction de la part de Jacob et pas le cadeau inattendu d’un moment, alors, Jacob aurait pu juger Joseph plus objectivement. Dans la haftarah de Yonah le prophète nous montre qu’on aime les choses que l’on a reçues par accident sans efforts, l’arbre de Yonah le sauve de la dépression par ce qu’il a poussé tout seul. Yonah est émerveillé devant son arbre par ce qu’il n’a rien fait pour qu’il soit là, de la même manière Jacob est émerveillé par Joseph par ce qu’il n’a rien fait pour qu’il naisse. C’est par ce que Jacob n’a pas prié pour la naissance de Joseph que les conflits ont éclatés dans le peuple d’Israël et que la force du silence et celle de l’expression ont été mises en opposition.

2- Les femmes, les enfants et le mensonge

Lors de la naissance de Joseph la torah dit Le Seigneur se souvint de Rachel: il l'exauça et donna la fécondité à son sein. Elle conçut et enfanta un fils; et elle dit: "Dieu a effacé ma honte et Le midrash explique : aussi longtemps qu’une femme n’a pas de fils, elle n’a personne sur qui rejeter ses fautes (Beréchith Raba 73, 5). A partir du moment où elle a un fils, c’est sur lui qu’elle les rejette : « Qui a brisé ce vase ? - Ton fils ! ». « Qui a mangé ces figues ? - Ton fils ! » (Cité par Rashi).

Ce passage du midrash parait étonnant, Rachel voulait avoir un enfant, au point qu’elle a dit “si je n’ai pas d’enfant je suis morte.” Alors, comment se fait-il que lorsqu’elle a un enfant tout ce qu’elle trouve à dire c’est “si je casse un vase, je pourrais dire que c’est Joseph qui l’a cassé”, tout ca pour ca! Si Rachel ne peut pas faire passer les bêtises qu’elle fait sur le dos de son fils, alors Rachel se considère morte!, pour Rachel pouvoir vivre c’est pouvoir mentir à son mari! C’est incroyable.

De plus, Jacob était tres amoureux de Rachel, on a du mal a croire qu’il allait s’énerver parce que Rachel avait cassé un vase, ou si elle avait mangé la dernière figue. Surtout si on sait que Jacob avait pardonné le fait que Rachel avait fait passer sa sœur à sa place pendant la nuit de noce.

Jacob a dit lors de la mort de Rachel “et Rachel est morte pour moi” le talmud déduit de ce verset qu’”une femme ne meurt que pour son mari”. Pour la torah l’âme est éternelle, on ne meurt jamais que pour les autres, la mort selon la torah c’est uniquement lorsque un individu perd le contacte avec les autres humains. L’âme continue a évolué mais on n’arrive plus à communiquer avec elle, c’est cette rupture de communication que la torah appelle la mort.

Le talmud explique que cette rupture, pour une femme, c’est surtout une rupture de la communication avec son mari. A la lumière de cet enseignement on peut comprendre que lorsque Rachel dit que “si je n’ai pas d’enfant je suis morte”, il faut expliquer: “tant que je suis stérile, il y a un type de relation que je ne peux pas avoir avec mon mari”.

Si on relie ce midrash avec le précédent, il semble qu’il faille comprendre qu’il y a un type de relation entre le mari et la femme qui ne peut passer que par le mensonge, et que ce mensonge n’est possible que lorsqu’une femme a un enfant. Comment comprendre cela?

3- Dire un mensonge c'est montrer une faiblesse en faisant confiance à l'autre

Dans la parasha de cette semaine la torah commence à nous raconter la confrontation entre Joseph et Juda,

Les premiers versets de la parasha disent “Alors Juda s'avança vers lui, en disant: "De grâce, seigneur! Que ton serviteur fasse entendre une parole aux oreilles de mon seigneur et que ta colère n'éclate pas contre ton serviteur! Car tu es l'égal de Pharaon. 

Nous répondîmes à mon seigneur: ‘Nous avons un père âgé et un jeune frère enfant de sa vieillesse: son frère est mort et lui, resté seul des enfants de sa mère, son père le chérit.’ Rashi cite un midrash qui dit « Tu es comme Pharaon » – si tu me pousses à bout, je te tuerai ainsi que ton maître.

Juda menace Joseph de mort, pourtant dans le verset suivant il ment par ce qu’il a peur, il dit que Joseph est mort, le midrash dit à ce sujet “C’est par crainte qu’il a proféré ce mensonge. Il a pensé : Si je lui dis qu’il est vivant, il va nous demander de le lui amener” Comment comprendre ce comportement contradictoire de Juda?

De plus dans un précédent interrogatoire fait par Joseph, Juda n’avait pas dit que Joseph était mort, il avait dit “il y a un des frères dont nous n’avons pas de nouvelles”, en fait Juda sait que Joseph peut commencer à le questionner et lui demander pourquoi il a changé d’avis, mais justement il tend une perche à Joseph pour voir comment il va réagir. En mentant Juda montre une faiblesse à Joseph, devant cette accès de faiblesse de Juda, Joseph a le choix soit il prend à profit cette faiblesse et il l’utilise pour attaquer Juda en lui disant “mais la dernière fois tu n’a pas dit ca!) soit Joseph laisse passer le mensonge de Juda en se taisant. Si Joseph choisi la deuxième option il aura crée une complicité avec Juda, et la paix devient possible.

De la même manière si Rachel ment et qu’elle dit a Jacob que c’est son fils qui a cassé le vase, alors Jacob a le choix, soit il fait semblant de croire Rachel et il laisse passer son mensonge et à ce moment là, il aura établi une complicité avec elle, soit il commence à la contredire en disant “ouai, bien sur, et puis quoi encore!”, et à ce moment là il n’aura pas saisi la perche tendue par Rachel.

Le mensonge donne la possibilité à l’homme de créer des liens par le silence

4- Le silence ou bien la transparence

Les frères ont eu la possibilite de vendre Joseph parce que Jacob avait demandé à Joseph de rejoindre ses frères dans un endroit isolé. Pourtant, depuis le début Jacob savait que les frères haïssaient Joseph, alors pourquoi a-t-il envoyé Joseph les retrouver dans un endroit isolé?

Il semblerait que Jacob voulait crever l’abcès, Jacob pensait que la discussion ouverte pouvait recréer une fraternité perdue. Mais l’histoire a donné tord à Jacob. Comme Jacob, Joseph pensait qu’il valait mieux qu’il raconte ses rêves à ses frères, pourtant en jouant la transparence il ne fait qu’augmenter la haine des frères.

Après 12 ans de prison Joseph comprend que c’est par le silence que l’on peut rétablir les liens.

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